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NOTES

j’aborderai le problème, ayant décidé d’éprouver une bonne fois cette monnaie fiduciaire, qui a cours par la complaisance, et enfin d’exposer au jour les visions des rêves et tout ce qui y ressemble. La ferme doctrine de Descartes, convenablement suivie, conduisait finalement à comprendre que l’imagination tant décrite est elle-même presque toute imaginaire, et, bref, qu’il n’y a point d’images hors de la perception des objets présents. D’après cela il fallait rendre compte des œuvres en considérant seulement la structure humaine, les travaux humains, et les objets. Et puisque les remarques auxquelles j’étais ainsi conduit s’ordonnaient d’elles-mêmes en un système, jusqu’à éclairer un peu les secrets de l’art d’écrire, il me parut que ces chapitres pouvaient être soumis au public éclairé. Dans le fait l’ouvrage ne fut pas beaucoup lu, mais du moins il fut bien lu. La difficulté ne rebuta point, l’absence de preuves n’étonna point, dans un sujet qui a de quoi effrayer. Et les dissentiments, autant que j’ai su, vinrent principalement de ce que le lecteur, éclairé par la pratique d’un art déterminé, lui voulait attribuer plus de puissance ou une place plus éminente que je n’avais fait. Concernant l’idée directrice il ne s’éleva point de ces objections proprement scolastiques, fruits naturels de la psychologie errante. Tout artiste sait d’après une sévère expérience, que le métier rabat promptement l’imagination, et que le faire, même dans l’art de l’écrivain, et plus évidemment dans les autres arts, va bien plus loin que les pensées. Les notes qui vont suivre seront donc bien plutôt explicatives que polémiques. Au reste, puisqu’une idée n’est jamais qu’un instrument d’exploration, la fin des ouvrages de l’esprit doit toujours être d’avertir, plutôt que de persuader ; et celui-là seul qui découvre en quoi une idée est insuffisante s’en est servi comme il fallait.

II

Livre I. Chapitre III. — Sur les Images.

Une doctrine de l’imagination qui nous refuse le pouvoir, tant célébré, de contempler la forme et la couleur des objets absents, ne sera point aisément acceptée, peut-être, par ceux que l’expérience des arts n’a pas instruits. Je crois donc utile d’exercer le lecteur au sujet de trois exemples remarquables. Beaucoup ont, comme ils disent, dans leur mémoire, l’image du Panthéon, et la font aisément paraître, à ce qu’il leur semble. Je leur demande, alors, de bien vouloir compter les colonnes qui portent le fronton ; or non seulement ils ne peuvent les compter, mais ils ne peuvent même pas l’essayer. Or cette opération est la plus simple du monde, dès qu’ils ont le Panthéon réel devant les yeux. Que voient-ils donc, lorsqu’ils imaginent le Panthéon ? Voient-ils quelque chose ? Pour moi,