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DE LA MATIÈRE

tres, comme Ésope est le modèle de tant de fabulistes, comme un modèle à peindre est modèle. Le génie ne se connaît que dans l’œuvre peinte, écrite ou chantée. Ainsi la règle du beau n’apparaît que dans l’œuvre, et y reste prise, en sorte qu’elle ne peut servir jamais, d’aucune manière, à faire une autre œuvre.

Il fallait proposer ici d’abord cette idée, par elle-même assez cachée. Le lecteur décidera dans la suite si elle est vérifiée en chacun des arts. Toutefois une remarque s’offre d’elle-même à l’esprit, et qui peut nous aider à assurer nos premiers pas. L’art où la résistance de la chose se fait le plus fortement sentir, c’est l’architecture. Or ce n’est point le dernier venu ni l’élève ; c’est le maître de presque tous et leur père. Au contraire l’art le plus libre, qui est la prose, est aussi le plus jeune, le plus tâtonnant, le plus trompeur de tous, surtout quand il exprime des sentiments, matière trop flexible. Il ne manque pourtant pas d’artistes qui maudiraient bien le marbre, et d’autres qui maudiraient le dictionnaire et la grammaire, comme si c’étaient de pauvres moyens pour les grandes choses qu’ils veulent représenter. C’est là l’erreur propre de l’imagination, et c’est ainsi que le romancier imagine l’artiste ; mais le vrai artiste ne se meut pas longtemps dans ce genre de déclamation ; il aime plutôt le métier et lui dit merci. Heureux qui orne une pierre dure.