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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/61

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DES ACROBATES

contraste bien risible entre des jeux de force hors de propos et des muscles mal nourris ou faibles ; et qui aura fait cette remarque une fois rira bien des tragédies peintes et des tragédies mimées et parlées. D’autres considèrent de préférence les acrobates, équilibristes et jongleurs, en qui, tout au contraire, on saisit la force des muscles jointe à la grâce et au naturel. Ainsi il est vrai que le maître de danse est maître de peinture, sculpture et mimique ; mais aussi c’est l’acrobate qui est le vrai maître de danse ; et pour tout dire, la puissance des passions n’est jamais belle ; l’humiliation est laide, l’inquiétude est laide, la colère est laide ; et sans doute la timidité n’est que la crainte d’être laid. Certainement il se fait un échange entre l’acrobate et le public ; car d’un côté il met le spectateur en confiance, mais en retour ce jugement le porte ; il ne se tiendrait point au milieu d’une panique ; un cri le ferait tomber peut-être ; mais aussi il a tellement disposé le public par sa danse arrondie et liée qu’un tel cri ne puisse plus sortir. Ainsi est l’homme du monde dans sa danse propre, sûr d’être agréable aux autres et à lui. Acrobate plus d’une fois, et bon acteur de vraie tragédie ; et c’est où le bon roman prend ses modèles. Ainsi la danse acrobatique se déroule d’un art à l’autre si l’on regarde bien ; et la main qui dessine selon une telle discipline danse encore comme il sera dit. Et ce n’est pas trop de cet applaudissement aux grâces du cirque ; car le fil de fer ne ment point, ni le trapèze.