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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

possible, parce que le plus petit scandale déforme les traits. Donc, quelle que soit la mode, elle embellit, et par là est embellie.

Enfin la mode est soumise aux conditions du costume ; et remarquez que le costume contribue toujours à cette retenue sans laquelle il n’y a pas d’expression, j’entends naturellement expression de chaque être par lui-même, non expression d’autre chose. Nous touchons ici un des secrets de l’art, et un des points disputés. Il faut choisir ; les essais décideront de l’idée. Posons donc que l’action n’est point l’expression, et que la nature ne s’exprime nullement dans la liberté animale. L’artiste chante et ne crie point ; le poète parle, au lieu de soupirer et de gémir. Et les plus puissants arts d’expression laissent le mouvement ; aussi peut-être l’écueil de la peinture et de la sculpture est-il de trop chercher le mouvement. Il n’y a point une échelle de beauté entre les œuvres qui ont un sens d’imagerie comme la création de l’homme de la Sixtine, et les autres figures endormies ou songeuses. Mais saisissons déjà au sujet du vêtement et de la mode, et enfin de l’ornement du corps, cette étrange séparation entre l’expression et le mouvement. Sans doute le mouvement libre exprime trop, ou plutôt exprime tout sans choisir, aussi bien les actions extérieures qui nous déterminent, aussi bien les émotions passagères, au sujet desquelles, il n’y a rien à chercher ni à deviner. La mère qui tient et l’enfant tenu expriment au contraire beaucoup. Le Protée enchaîné, c’est l’homme habillé. Autrement il faudrait dire que l’homme ivre est le meilleur acteur ; mais il s’en faut de beaucoup. Et l’on découvre ici toutes sortes de règles, pour la déclamation, pour la musique, et même pour l’architecture ; mais le costume nous les montre mieux, et la mode encore mieux, parce qu’elle enchaîne davantage. La pudeur, en toutes choses, conduit à l’expression. Qui se recueille rayonne. Et le vrai geste est vers le dedans, disons mieux, vers le repos du corps, qui seul parle. À bien regarder, il n’y a que la pudeur qui s’exprime ; l’im-