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Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/90

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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

sourde, surtout dans les sociétés où l’on croit trop que l’affection dispense d’avoir égard. Je n’insiste pas sur les criailleries, qui sont l’effet inévitable de l’intonation mal réglée. La plupart des hommes s’échauffent en discutant, parce qu’ils posent mal la voix et précipitent les mots. Il faut noter aussi que la perspective des mots à dire change les mots qu’on dit, absolument comme le mouvement qu’on veut faire ensuite trouble celui qu’on fait. Ces remarques font voir la nécessité de politesse où l’on est toujours de régler l’intonation et le débit, de ménager la respiration et le repos, et enfin de distribuer régulièrement la parole le long du temps, de façon à protéger l’auditeur contre la surprise et l’état d’anxiété qui en résulte. Aussi faut-il dire que tout ce qui est artificiel dans la parole, comme retour des mêmes sons, imitation de soi-même, balancement, symétrie, plaît naturellement. On voit par quels procédés, moins variés qu’il ne semble d’abord, on est arrivé, dans tous les pays et dans tous les temps, à des méthodes de bien parler qui sont poésie et éloquence.

D’autres conditions s’ajoutent à celles-là. Le langage mesuré est surtout nécessaire lorsque l’on veut se faire entendre d’une foule ; il faut d’abord ménager ses forces, chercher des repos et des compensations, enfin annoncer beaucoup et répéter beaucoup. Nous jugeons mal de l’éloquence et surtout de la poésie si nous en jugeons par la lecture et en solitude. Enfin la poésie se distingue de l’éloquence en ce qu’elle improvise moins et plaît sans fin par une même combinaison de paroles ; et l’éloquence n’est peut-être qu’une sorte de poésie improvisée. L’une et l’autre consistent en une suite de signes vocaux, mesurés et balancés, de façon à soulager l’attention, à ménager les forces, et à dépouiller la voix humaine des passions réelles qu’elle exprime si naturellement et du reste si mal. Cette remarque étonnera moins le lecteur s’il a réfléchi à ce que c’est qu’exprimer ; j’ajoute, pour éclairer encore cette idée-là, qu’il n’est pas rare que l’on trouve la meilleure expression d’un