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LE DEVOIR DU FILS

dans la charmille, dont la longue muraille verte fermait le fond du bosquet.

À l’une des extrémités de l’allée couverte s’élevaient encore les ais vermoulus d’un portique de gymnastique, que tante Isabelle avait fait édifier pour l’amusement de son petit-neveu. Les grenouilles coassaient toujours dans la douve, vers laquelle descendaient trois marches d’ardoises, à demi cachées sous les hautes herbes. Que de flâneries bienheureuses rappelait le vieux bateau où l’on était si bien pour rêver ou lire, pendant les après-midi brûlants ! Et à l’abri de l’énorme tilleul, dont les branches traînaient à présent jusqu’à terre, voici le banc où tante Isabelle venait travailler en écoutant les aventures de Flora Mac-Ivor, ou les doléances de Chimène que Gilbert déclamait avec exaltation…

Vraiment, il avait laissé quelque chose de son âme d’enfant dans ce grand jardin plein d’ombre et d’oiseaux ! En revoyant toutes choses, demeurées aux mêmes places où il les avait connues, — mais rouillées, rongées par les intempéries de douze années, il pouvait se figurer que, depuis son départ, nul n’avait hanté le bosquet, ni profané ses retraites favorites. Il s’avançait lentement, cherchant la trace des allées, disparues sous les feuilles mortes de plusieurs automnes et sous un revêtement de mousse et de gazon.

Des touffes gigantesques de senneçon secouaient leur duvet sur de jeunes marronniers ou des platanes minuscules, germés au milieu des sentiers. La vigne, le lierre, le chèvrefeuille escaladaient follement les troncs des cèdres et des pins, reliant les branches, cherchant des points d’appui. Partout c’était, comme dans une forêt vierge, une lutte acharnée de tous les végétaux, un assaut vers la lumière, les plus forts écrasant les plus faibles, les humbles minant les superbes, leur volant le suc de la terre ou les étouffant sous leur étreinte sournoise.

Les oiseaux, surpris par l’approche du visiteur, s’envolaient, de côté et d’autre, avec des frou-frous soyeux, et se réfugiaient au plus haut des arbres.