Page:Albalat - Le Mal d’écrire et le roman contemporain.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
PIERRE LOTI

d’un enfant, à côté de ses lassitudes et de ses doutes, il a écrit une page bénie que je voudrais enchâsser ici comme un pur joyau : « Pour ma mère, j’ai presque gardé intactes mes croyances d’autrefois. Il me semble encore que, quand j’aurai fini de jouer en ce monde mon bout de rôle misérable ; fini de courir par tous les chemins non battus, après l’impossible ; fini d’amuser les gens avec mes fatigues et mes angoisses, j’irai me reposer quelque part où ma mère, qui m’aura devancé, me recevra ; et ce sourire de sereine confiance qu’elle a maintenant sera devenu alors un sourire de triomphante certitude. Il est vrai, je ne vois pas bien ce que sera ce lieu vague, qui m’apparaît comme une pâle vision grise, et les mots, si incertains et flottants qu’ils soient, donnent encore une forme trop précise à ces conceptions de rêve. Et même (c’est bien enfantin, ce que je vais dire là, je le sais), et même dans ce lieu je me représente ma mère ayant conservé son aspect de la terre, ses chères boucles blanches et les lignes droites de son joli profil, que les années m’abîment un peu, mais que j’admire encore. La pensée que le visage de ma mère pourrait un jour disparaître à mes yeux pour jamais, qu’il ne serait qu’une combinaison d’éléments susceptibles de se désagréger et de se perdre sans retour dans l’abîme universel ; cette pensée non seulement me fait saigner le cœur, mais aussi me révolte comme inadmissible et monstrueuse. Oh ! non, j’ai le sentiment qu’il y a