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LES QUATRE FILLES DU DOCTEUR MARSCH.

leur jardin, Kate, demeurée en arrière avec M. Brooke, quitta son ton protecteur, et s’adressant à M. Brooke, dont elle appréciait le mérite, elle lui dit :

« Malgré leurs manières démonstratives, les Américaines sont très gentilles quand on les connaît.

— Je suis tout à fait de votre avis, répondit M. Brooke.

— La pauvre Meg, je la plains pourtant, ajouta Kate ; si jolie, sans fortune et obligée de travailler, d’être gouvernante, pour aider sa famille, c’est terrible !

— Ne la plaignez pas tant, répondit vivement M. Brooke ; Meg, riche et brillante de jeunesse et de beauté, n’eût peut-être jamais eu l’occasion de développer les qualités et de perdre les petits défauts qu’elle tenait de la nature, elle n’eût été qu’une charmante oisive comme tant d’autres. Elle deviendra, au contraire, avec le temps, une femme vraiment distinguée, digne du respect des cœurs et des esprits sérieux. D’ailleurs, miss Kate, l’Amérique n’est ni l’Angleterre ni la France ; une femme qui doit à son travail et à son courage son indépendance et sa liberté, est estimée ici l’égale de celle qui n’a à apporter en dot à un mari que la fortune qu’elle doit à ses parents, et les gens intelligents la préfèrent souvent à toute autre. Un Américain rougirait de penser à la dot de sa fiancée, et, s’il lui arrivait de s’en inquiéter et de s’en enquérir, il ne trouverait plus une fille honorable qui consentît à porter son nom. »

Kate resta quelques minutes sans répondre, mais comme elle ne manquait ni de jugement ni de bonté :

« Monsieur Brooke, dit-elle, Dieu veuille qu’en vieillissant l’Amérique ne perde pas ces sages principes. Le sort des femmes, assurées d’être choisies pour ce qu’elles valent et pour elles-mêmes, y serait digne d’envie. »