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Page:Alcott - Les Quatre Filles du docteur Marsch.djvu/324

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LES QUATRE FILLES DU DOCTEUR MARSCH.

pas un affront. Si vous lui aviez dit : J’ai juré à Madame Marsch de me taire, il ne se fût pas irrité.

— Les femmes n’entendent rien à ces questions d’honneur, dit Laurie ; avec votre permission, je me sens meilleur juge et meilleur gardien de ma dignité. Pour rien au monde je ne continuerai à vivre en face de celui qui vient de me traiter comme un esclave, celui-là fût-il cent fois mon grand-père et fût-il plus vieux que le monde. C’est précisément parce que je ne puis lui demander réparation de l’offense qu’il m’a faite, que mon parti est pris de ne pas me retrouver en sa présence. Demain matin, je serai en route pour Washington. Grand-père apprendra ainsi que je n’ai besoin, pour me tenir droit, du tablier de personne. Je m’embarquerai, je voyagerai, je ferai le tour du monde, je gagnerai ma vie ; bref, je serai indépendant, je ne devrai rien qu’à moi-même.

— Vous serez bien heureux, dit Jo, oubliant subitement, devant les visions de Laurie, son rôle de conseil et de Mentor.

— Vous en convenez. Je serai non seulement plus heureux, mais bien heureux ! Vous voyez donc que j’ai pleinement raison. Eh bien, au lieu de contrarier mon dessein, aidez-moi à l’accomplir, Jo, et tenez ! — on eût dit qu’il recevait d’en haut une illumination subite, — faites mieux, faites-vous mon associée. Venez avec moi surprendre votre père à Washington, venez dire à Brooke les soucis que, sans s’en douter, il nous a causés. Quand il saura que c’est lui et lui seul qui, en somme, est la cause de la crise qui nous aura forcés à partir, pourra-t-il nous blâmer ? Non. Il nous aidera, au contraire, à nous tirer d’affaire, et en cela il ne fera que son plus strict devoir. Un peu de courage, Jo ; nous laisserons une lettre pour votre mère et pour grand-père, où nous