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Page:Alembert - La Suppression des jésuites.djvu/19

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perdu, précipita leur ruine par une circonstance singulière. On reçut, à la fin de mars 1762, la triste nouvelle de la prise de cette colonie ; cette prise, si importante pour les Anglais, faisait tort de plusieurs millions à notre commerce ; la prudence du Gouvernement voulut prévenir les plaintes qu’une si grande perte devait causer dans le public. On imagina, pour faire diversion, de fournir aux Français un autre objet d’entretien, comme autrefois Alcibiade avait imaginé de faire couper la queue à son chien pour empêcher les Athéniens de parler d’affaires plus sérieuses. On déclara donc au principal du collège des jésuites, qu’il ne leur restait plus qu’à obéir au Parlement et à cesser leurs leçons au 1er avril 1762. Depuis cette époque, les collèges de la Société furent fermés, et elle commença sérieusement à désespérer de sa fortune, enfin le 6 août 1762, ce jour si désiré du public, arriva : l’institut fut condamné par le Parlement d’une voix unanime, sans aucune opposition de la part de l’autorité souveraine ; les vœux furent déclarés abusifs, les jésuites sécularisés et dissous, leurs biens aliénés et vendus ; la plupart des parlements, les uns plus tôt, les autres plus tard, les ont traités à peu près de même ; quelques-uns avaient mis plus de rigueur encore dans leurs jugements, et les avaient chassés sans autre forme de procès.

Ils vécurent donc dispersés çà et là, et portant l’habit séculier ; mais ils restaient toujours à la cour, et même y étaient en plus grand nombre que jamais ; ils semblaient de là braver doucement leurs ennemis, et attendre pour se relever un temps plus favorable. On disait assez hautement que ces renards n’étaient pas détruits si l’on ne venait à bout de les enfumer dans le terrier où ils se croyaient à l’abri ; et qu’ils ne seraient pas martyrs tant qu’ils seraient confesseurs. Ils sont bien malades, ajoutait-on, peut-être mourants, mais le pouls leur bat encore. On les croyait si peu