Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/105

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si imprévue du vieillard lui avait été d’un grand soulagement : il lui semblait avoir reçu du ciel un signe visible de protection. « Voici un fil, disait-il en lui-même, un fil que la Providence met entre mes mains. Et dans cette maison même ! Et sans que je songeasse à le chercher ! » Au milieu de ces réflexions, il leva les yeux vers l’occident, vit le soleil prêt à disparaître derrière la cime de la montagne, et s’aperçut que le jour était bien près de finir. Alors, quoiqu’il sentît ses membres fatigués et affaiblis par toutes les diverses peines de cette journée, il pressa cependant encore plus sa marche pour pouvoir rapporter un avis, quel qu’il fût, à ses protégés, et arriver ensuite au couvent avant la nuit ; car c’était une des lois les plus précises et les plus sévèrement observées du code des capucins.

Cependant, sous l’humble toit de Lucia, avaient été proposés, examinés, débattus des projets dont il convient d’informer le lecteur. Après le départ du religieux, les trois personnes qu’il avait quittées étaient demeurées quelque temps en silence ; Lucia préparant tristement le dîner ; Renzo, sur le point à chaque moment de partir pour fuir la vue de l’affliction de sa fiancée, et ne sachant s’y résoudre ; Agnese tout attentive en apparence au rouet qu’elle faisait tourner ; mais celle-ci, dans le fait, mûrissait un projet ; et lorsqu’elle le jugea mûr, elle rompit le silence en ces termes :

« Écoutez, mes enfants ! Si vous voulez avoir du cœur et de l’adresse autant qu’il en faut, si vous avez confiance en votre mère (ce mot de votre fit tressaillir Lucia), je m’engage à vous tirer de cet embarras mieux peut-être et plus vite que le père Cristoforo, quoiqu’il soit l’homme qu’il est. » Lucia s’arrêta et la regarda d’un air qui exprimait plus d’étonnement que de confiance dans une promesse si magnifique ; et Renzo dit aussitôt : « Du cœur ? de l’adresse ? dites, dites ; qu’y a-t-il à faire ?

— N’est-il pas vrai, poursuivit Agnese, que si vous étiez mariés, ce serait déjà une bonne avance, et que pour tout le reste on trouverait plus facilement un moyen ?

— Pas de doute, dit Renzo, si nous étions mariés, tout le monde est pays ; et à deux pas d’ici, sur les terres de Bergame, celui qui travaille la soie est reçu à bras ouverts. Vous savez combien de fois Bortolo, mon cousin, m’a fait presser d’aller y demeurer avec lui, disant que je ferais fortune, comme il a fait lui-même ; et si je ne l’ai jamais écouté, c’est que… Eh bien quoi ? c’est que mon cœur était ici. Une fois mariés, nous y allons tous ensemble, on s’établit là, on y vit en paix, hors des griffes de ce brigand, loin de la tentation de faire une sottise. N’est-ce pas, Lucia ?

— Oui, dit Lucia ; mais comment ?…

— Comme j’ai dit, reprit la mère : du cœur et de l’adresse ; et la chose est facile.

— Facile ! dirent ensemble les deux autres, pour qui elle était devenue si étrangement et si douloureusement difficile.

— Facile en la sachant faire, répliqua Agnese. Écoutez-moi bien ; je tâcherai de vous la faire comprendre. J’ai entendu dire par des gens qui savent les cho-