Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/151

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Lorsqu’ils furent à la porte, le conducteur tira le cordon de la clochette, fit appeler le père gardien ; celui-ci vint aussitôt et sur la porte même reçut la lettre.

« Oh ! le père Cristoforo ! dit-il en reconnaissant l’écriture. » Au ton de sa voix et à l’expression de ses traits, il était facile de voir qu’il prononçait le nom d’un de ses meilleurs amis. L’on doit supposer ensuite que notre bon Cristoforo avait, dans cette lettre, recommandé bien chaudement les deux femmes et raconté leur aventure avec beaucoup de sentiment ; car le gardien faisait de temps en temps des mouvements de surprise et d’indignation, et, levant les yeux de dessus le papier, les fixait sur les femmes avec un certain air de compassion et d’intérêt. Lorsqu’il eut fini de lire, il fut quelques moments à réfléchir ; puis il dit : « Il n’y a que la signora : si la signora veut se charger de ce soin… »

Ayant ensuite pris à part Agnese sur la place qui était devant le couvent, il lui fit quelques questions auxquelles elle répondit ; et, revenu vers Lucia, il dit à toutes deux : « Chères femmes, je tenterai ; et j’espère pouvoir vous trouver un asile des plus sûrs, des plus honorables, en attendant que la divine Providence ait fait mieux pour vous. Voulez-vous venir avec moi ? »

Les femmes marquèrent respectueusement qu’elles étaient prêtes à le suivre ; et le père reprit : « Bien ; je vais sans autre retard vous mener au monastère de la signora. Tenez-vous pourtant éloignées de moi de quelques pas ; car le monde se plaît à mal parler ; et Dieu sait quels beaux caquets on ferait, si l’on voyait le père gardien par les chemins avec une jolie fille… avec des femmes, veux-je dire. »

En disant ces mots, il passa devant. Lucia rougit ; le voiturier sourit en regardant Agnese qui ne put s’empêcher d’en faire autant ; et tous trois se mirent en marche un peu après le père, le suivant à la distance de dix pas. Les femmes alors demandèrent au voiturier ce qu’elles n’avaient pas osé demander au père gardien, ce qu’était la signora.

« La signora, répondit celui-ci, est une religieuse ; mais non pas une religieuse comme les autres. Ce n’est point qu’elle soit l’abbesse ni la prieure ; car, au contraire, on la dit l’une des plus jeunes ; mais elle est de la côte d’Adam, et ses parents du vieux temps étaient de grands personnages venus d’Espagne où sont ceux qui commandent ; c’est pour cela qu’on l’appelle la signora, pour dire que c’est une grande dame ; et tout le pays l’appelle de ce nom, parce qu’on dit que dans ce couvent on n’a jamais eu une personne comme celle-là ; ses parents d’aujourd’hui, là-bas, à Milan, comptent pour beaucoup et sont de ceux qui ont toujours raison ; et à Monza encore plus, parce que son père, quoiqu’il n’y demeure pas, est le premier du pays, en sorte qu’elle peut faire haut et bas à sa volonté dans le monastère. Les gens mêmes du dehors lui portent grand respect ; et, quand elle se charge d’une chose, elle la fait d’ordinaire réussir. C’est pourquoi, si ce bon religieux que voilà obtient de vous mettre dans ses mains et qu’elle vous accepte, je vous réponds que vous y serez en sûreté comme sur l’autel. »

Lorsqu’il fut près de la porte du bourg, alors flanquée d’une vieille tour à