presque à l’instant un grand avantage au parti des hommes humains, qui jusqu’alors avait été visiblement le plus faible, et n’aurait plus eu, pour peu que ce secours eût tardé, ni force ni but pour combattre. L’homme était agréable à la multitude pour ce tarif de son invention si favorable aux acheteurs, et pour son héroïque résistance à tous raisonnements contraires. Les esprits déjà disposés en sa faveur étaient en ce moment encore plus portés à lui vouloir du bien pour la généreuse confiance avec laquelle ce vieillard venait ainsi, sans gardes, sans appareil, se présenter à une multitude irritée et dans le moment de sa plus grande agitation. Ce qui faisait ensuite un effet merveilleux, était ce bruit répandu qu’il venait pour mener en prison le vicaire. Ainsi, la fureur contre celui-ci, qui se serait encore augmentée si on l’eût attaquée par les moyens violents et sans lui rien concéder, s’apaisait un peu par cette promesse de satisfaction, par cet os qu’on lui jetait pour pâture, et faisait place aux sentiments d’une nature opposée qui s’élevaient dans bien des cœurs.
Les partisans de la paix, ayant repris courage, secondaient Ferrer de toutes sortes de manières ; ceux qui étaient près de lui, en excitant par leurs mille exclamations l’acclamation générale, et en tâchant en même temps de faire ranger le monde pour donner passage à la voiture ; les autres, en applaudissant, répétant et faisant circuler ses paroles ou celles qui leur semblaient les meilleures qu’il pût dire, en faisant taire les furieux obstinés, et tournant contre eux la nouvelle passion de la mobile et turbulente foule. « Qui est-ce qui ne veut pas qu’on dise : Vive Ferrer ? Tu serais fâché, n’est-ce pas, que le pain fût à bon marché ? Ce sont des coquins, ceux qui ne veulent pas d’une justice de chrétiens ; et certaines gens ici ne font plus de bruit que les autres que pour faire sauver le vicaire. En prison le vicaire ! Vive Ferrer ! Place à Ferrer ! » Et, tandis que le nombre de ceux qui parlaient ainsi allait toujours croissant, on voyait baisser d’autant la hardiesse du parti contraire ; de sorte que les premiers en vinrent des paroles aux faits, et à donner sur les doigts de ceux qui continuaient la démolition, à les pousser en arrière, à leur ôter des mains leurs outils. Ceux-ci frémissaient, menaçaient même encore et cherchaient à reprendre leurs avantages ; mais la cause du sang était perdue : le cri qui dominait était : « Prison ! justice ! Ferrer ! » Après un peu de lutte, les assiégeants furent repoussés : les autres s’emparèrent de la porte, tant pour la défendre contre de nouveaux assauts que pour y préparer l’entrée à Ferrer ; et l’un d’eux, jetant sa voix vers ceux de la maison (il ne manquait pas de brèches pour laisser passer cette voix), les avertit qu’il arrivait du secours, et qu’ils eussent à faire tenir prêt le vicaire, « pour aller tout de suite… en prison : hein ! avez-vous entendu ?
— C’est ce Ferrer qui aide à faire les ordonnances ? demanda à l’un de ses nouveaux voisins notre ami Renzo qui se rappela ce Vidit Ferrer que le docteur lui avait crié dans l’oreille, en le lui faisant voir au bas de cette ordonnance que vous savez bien.
— Oui ; le grand chancelier, lui fut-il répondu.
— C’est un brave homme, n’est-ce pas ?