milieu, et placent ce milieu précisément au point où ils sont arrivés et se trouvent à l’aise. Frédéric, loin de se laisser vaincre par ces tentatives, en reprenait les auteurs ; et cela à peine au sortir de l’adolescence.
Que pendant la vie du cardinal Charles, plus âgé que lui de vingt-six ans, en présence de cet homme grave, solennel, en qui tout respirait si vivement la sainteté et en rappelait les œuvres, de cet homme dont l’autorité se serait à tout moment accrue, s’il en eût été besoin, par l’hommage manifeste et spontané de ceux qui l’approchaient, de quelque qualité et en quelque nombre qu’ils fussent, que, sous les yeux d’un tel supérieur, Frédéric, tout jeune encore, eût cherché à se conformer à sa manière de penser et de vivre, il n’y aurait rien là qui dût surprendre ; mais ce qui est bien digne de remarque, c’est qu’après la mort du saint prélat, personne ne put s’apercevoir que Frédéric, alors dans sa vingtième année, n’eût plus auprès de lui un guide et un censeur. Sa réputation toujours croissante de talent, de science, de piété, ses liens de parenté avec quelques cardinaux puissants et leur zèle en sa faveur, le crédit de sa famille, son nom même auquel Charles avait en quelque sorte attaché dans les esprits une idée de sainteté et de prééminence, tout ce qui doit, tout ce qui peut conduire les hommes aux dignités ecclésiastiques, concourait à les faire présager pour lui. Mais Frédéric pénétrait dans le cœur de ce principe auquel toute personne professant le christianisme rend hommage au moins de bouche, que nulle supériorité légitime n’appartient à un homme sur les autres hommes, si ce n’est celle dont on use pour les servir, Frédéric, avec une semblable conviction, craignait les dignités et cherchait à s’y soustraire ; non certes qu’il voulût éviter de servir les autres, car peu de vies y ont été comme la sienne consacrées, mais parce qu’il ne se jugeait ni digne, ni capable d’un service si élevé et si périlleux. C’est pourquoi, lorsqu’en 1595 Clément VIII lui proposa l’archevêché de Milan, il parut fortement troublé et refusa sans hésitation. Il dut céder ensuite à un ordre exprès du pape.
De telles démonstrations, chacun le sait, ne sont ni difficiles ni rares ; et l’hypocrisie n’a pas besoin d’un plus grand effort d’esprit pour les faire que la maligne gaieté pour s’en moquer en toute rencontre. Mais cessent-elles pour cela d’être l’expression naturelle d’un sentiment de sagesse et de vertu ? C’est à la vie d’un homme que ses paroles se comparent ; et les paroles qui expriment ce sentiment, eussent-elles passé sur les lèvres de tous les imposteurs et de tous les railleurs du monde, seront toujours belles, lorsqu’elles seront précédées et suivies d’une vie de désintéressement et de sacrifice.
Frédéric devenu archevêque s’appliqua d’une manière particulière et continuelle à ne prendre pour lui, de ses richesses, de son temps, de ses soins, de tout lui-même en un mot, que jusqu’à la limite du plus strict nécessaire. Il disait, comme disent tous, que les revenus ecclésiastiques sont le patrimoine des pauvres ; mais, quant à sa manière d’entendre cette maxime, qu’on en juge par ce trait. Il voulut qu’on estimât à combien pourrait s’élever la dépense de son entretien propre et de celui de ses gens ; et comme on lui dit qu’elle serait de six cents écus (on nommait alors écu cette monnaie d’or qui, conservant