ricorde, m’a appelé à changer de vie ; je répondrai à sa voix, je changerai de vie, et déjà je l’ai fait. Puisse-t-il vous traiter tous de même ! Sachez donc et tenez pour certain que je suis résolu à mourir plutôt que de rien faire contre sa sainte loi. Je révoque pour chacun de vous les ordres criminels que je vous ai donnés ; vous m’entendez ; je vous commande même de n’en exécuter aucun. Et tenez également pour chose ferme et irrévocable que personne désormais ne pourra faire le mal en demeurant à mon service, en se plaçant sous ma protection. Ceux qui voudront à ces conditions rester avec moi seront à mes yeux comme mes enfants ; et je m’estimerais heureux à la fin du jour où je n’aurais pas mangé pour donner au dernier d’entre vous le dernier morceau de pain qui resterait dans ma demeure. Quant à ceux qui refuseront, je leur payerai ce qui leur revient de leurs gages, et une gratification en sus ; ils pourront me quitter, mais qu’ils ne mettent plus les pieds dans ce château, si ce n’est pour changer de vie ; car pour cela ils seront toujours reçus à bras ouverts. Pensez-y cette nuit ; demain matin je vous ferai venir l’un après l’autre pour avoir votre réponse, et alors je vous donnerai de nouveaux ordres. Pour le moment, retirez-vous, chacun à votre poste. Et que Dieu, dont la miséricorde a été pour moi si grande, daigne vous bien inspirer dans votre résolution. »
Il finit, et tous gardèrent le silence. Quelles que fussent les pensées diverses qui se présentaient tumultueusement à l’esprit de tous ces hommes, il n’en parut rien au dehors. Ils étaient habitués à regarder la voix de leur maître comme la manifestation d’une volonté qui ne souffrait pas de réplique ; et cette voix, tout en annonçant que la volonté était changée, ne marquait nullement qu’elle fût affaiblie. Il ne vint à l’idée d’aucun d’entre eux que, parce que leur seigneur était converti, on pût s’enhardir à son égard et lui répondre comme à un autre homme. Ils voyaient en lui un saint, mais un de ces saints que l’on représente la tête haute et l’épée au poing. Indépendamment de la crainte qu’il leur inspirait, ils avaient pour lui (surtout ceux qui étaient nés dans ses domaines, et c’était le plus grand nombre) une sorte d’affection d’hommes liges ; tous ensuite lui étaient attachés d’admiration, et ils éprouvaient en sa présence ce sentiment de retenue respectueuse dont les hommes, même les plus grossiers et les plus violents, ne s’affranchissent point devant une supériorité qu’ils ont reconnue. Les choses, d’ailleurs, qu’ils venaient d’entendre de sa bouche pouvaient bien être odieuses à leurs oreilles, mais ne se présentaient pas comme fausses et tout à fait dénuées de sens à leur esprit ; si mille fois ils en avaient fait le sujet de leurs railleries, ce n’était point qu’ils refusassent d’y croire ; mais, par les railleries, ils avaient voulu prévenir la frayeur qu’ils n’auraient pu, en y pensant sérieusement, s’empêcher d’en ressentir. Et maintenant, en voyant l’effet de cette frayeur sur une âme telle que celle de leur maître, il n’y en eut pas un qui, plus ou moins, n’en fût atteint, ne fût-ce que par une impression momentanée. Disons de plus que ceux qui, circulant le matin hors de la vallée, avaient été les premiers instruits de la grande nouvelle, s’étaient ainsi trouvés à portée de voir et avaient ensuite raconté la joie, l’enthousiasme de la population, l’amour et la vénération qui, pour l’Innomé,