Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/440

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sorte de contagion qui trouverait dans des corps affectés et prédisposés par la souffrance, par la mauvaise qualité des aliments, par les intempéries de l’air, par la saleté, par les peines et l’abattement de l’âme, toutes les conditions nécessaires à sa naissance, son développement et sa propagation (s’il est permis à un ignorant de hasarder ces paroles après l’hypothèse avancée par quelques physiciens et reproduite dernièrement, avec beaucoup de raisons à l’appui et grande réserve, par un esprit non moins soigneux dans ses observations qu’ingénieux dans les inductions qu’il en tire)[1] ? Faut-il supposer ensuite que la contagion ait d’abord éclaté dans le lazaret même, comme il paraît, d’après une obscure et inexacte relation, que les médecins de la santé le pensèrent ? Ou ne peut-on pas regarder comme plus vraisemblable, surtout si l’on considère combien la souffrance était déjà ancienne et générale et la mortalité fréquente, que cette contagion était née et couvait sourdement dès avant la réclusion au lazaret, et qu’apportée dans cette foule permanente, elle s’y est propagée avec une nouvelle et terrible rapidité ? Quelle que soit, de ces conjectures, la véritable, le nombre des morts dans le lazaret dépassa bientôt par jour la centaine.

Pendant que là, parmi ceux qui existaient encore, ce n’était que langueur, angoisses, plaintes et frémissements, on était, au tribunal de provision, dans la honte, le trouble et l’incertitude. On tint conseil, on prit l’avis de la Santé ; on n’imagina rien de mieux que de défaire ce que l’on avait fait avec tant d’appareil, de dépenses et de vexations. On ouvrit les portes du lazaret, on congédia tous les pauvres encore valides qui s’y trouvaient, et qui se hâtèrent d’en sortir avec une joie furibonde. La ville retentit de nouveau de ces cris plaintifs dont elle avait été précédemment attristée, mais qui, cette fois, étaient plus faibles et moins continus ; elle revit cette foule misérable ; mais elle la revit moins nombreuse et plus digne encore de pitié, dit Ripamonti, si l’on songeait aux causes qui l’avaient ainsi réduite. Les malades furent transportés à Santa-Maria-della-Stella, qui était alors un hôpital pour les pauvres, et la plupart y périrent.

Mais les blés cependant commençaient à blondir. Les mendiants venus de la campagne s’en furent, chacun de son côté, vers cette moisson si désirée. Le bon Frédéric leur fit ses adieux par un dernier effort et un nouveau moyen de charité que lui suggéra sa prévoyance ; il fit donner à chaque paysan qui se présentait à l’archevêché un Giulio[2] et une faucille de moissonneur.

La moisson enfin vint faire cesser la disette. La mortalité, épidémique ou contagieuse, diminuant de jour en jour, se prolongea cependant jusque vers le milieu de l’automne. Elle touchait à son terme lorsqu’un nouveau fléau parut.

Plusieurs événements majeurs, et de ceux auxquels on donne plus spécialement le titre de faits historiques, s’étaient passés pendant qu’avaient eu lieu

  1. Del morbo petechiale… e degli altri contagi in generale, opera del dott. F. Enrico Acorbi, cap. iii, § 1 e 2.
  2. Pièce de monnaie.