Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/446

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CHAPITRE XXIX.


Ici, parmi les pauvres gens livrés à un trop juste effroi, nous en trouvons de notre connaissance. Qui n’a pas vu don Abbondio le jour où l’on apprit tout à la fois la venue de l’armée, son approche et les excès qu’elle commettait sur son passage, ne sait point ce que c’est que l’embarras dans une crise, ce que c’est que la frayeur. Ils arrivent ; trente, quarante, cinquante mille ; ce sont des diables, des ariens, des antechrists ; ils ont pillé Cortennova ; ils ont brûlé Primaluna : ils saccagent Introbbio, Pasturo, Barsio ; ils sont à Balabbio ; demain ils seront ici : telles étaient les annonces qui passaient de bouche en bouche, tandis que chacun courait et s’arrêtait tour à tour, que l’on se consultait tumultueusement, qu’on hésitait entre le parti de fuir et celui de rester, que les femmes se rassemblaient dans la rue, portant les mains à leurs cheveux en signe de désolation. Don Abbondio, décidé avant tout autre et plus que tout autre à fuir, voyait pourtant dans chaque route à prendre, dans chaque lieu à choisir pour asile, des obstacles insurmontables, d’épouvantables dangers. « Comment faire ? » s’écriait-il : « où aller ? » Les montagnes, sans parler de la difficulté du chemin, n’étaient pas sûres, et l’on savait que les lansquenets y grimpaient comme des chats, sur le moindre indice et la moindre espérance d’un butin qu’ils pourraient y faire. Le lac était agité, et il faisait grand vent : d’ailleurs, la plupart des bateliers, craignant d’être forcés à transporter des soldats ou des bagages, s’étaient réfu-