de faire ainsi, pour le moment et en attendant qu’un autre fasse mieux, une notice succincte, mais véridique et suivie, de ce désastre.
Tout le long de la ligne que l’armée avait parcourue, on avait trouvé quelques cadavres dans les maisons, quelques cadavres sur la route. Bientôt, dans tel village, dans tel autre, des individus, des familles entières tombèrent malades, moururent de maux violents, étranges, dont les symptômes étaient inconnus de la plupart de ceux qui en étaient témoins. Quelques personnes seulement en avaient vu autrefois de semblables, et c’était le petit nombre de celles chez qui s’était conservée la mémoire de la peste qui, cinquante-trois ans auparavant, avait également désolé une grande partie de l’Italie, et spécialement le Milanais, où elle fut nommée, comme elle l’est encore, la peste de Saint-Charles. Tant la charité a de pouvoir ! Parmi les souvenirs si grands et de tant de sortes d’un fléau dont une population tout entière fut frappée, la charité peut faire primer le souvenir d’un homme, parce qu’elle a inspiré à cet homme des sentiments et des actions plus mémorables encore que les souffrances au milieu desquelles il se montre ; elle peut le graver dans l’esprit des générations futures comme le signe où se résument tous ces maux, parce que dans tous elle l’a porté, elle l’a introduit comme guide, secours, exemple, victime volontaire ; d’une calamité générale faire pour lui ce qui serait pour un autre le fruit d’une entreprise éclatante ; nommer cette calamité de son nom, comme une conquête ou une découverte prennent le nom de celui à qui elles sont dues.
L’archiâtre[1] Louis Settala, qui non-seulement avait vu cette peste, mais était l’un de ceux qui avaient mis le plus d’activité, de courage et (quoiqu’il fût très-jeune alors) d’habileté à la combattre, ce médecin qui, dans son appréhension fort grande de la voir se renouveler, avait l’œil ouvert sur les événements et faisait en sorte d’en être instruit, fit le 20 octobre, dans le tribunal de santé, un rapport duquel il résultait que, dans le village de Chiuso (le dernier du territoire de Lecco et confinant avec le bergamesque), la contagion s’était indubitablement déclarée. L’on voit, par le recueil de Taddino, qu’il ne fut pris aucune résolution par suite de cet avis[2].
Mais presque aussitôt des avis semblables arrivèrent de Lecco et de Bellano. Le tribunal alors se décida et se borna à faire partir un commissaire qui devait, chemin faisant, prendre un médecin à Como et aller avec lui visiter les lieux signalés. Tous deux, « soit ignorance ou toute autre cause, se laissèrent persuader par un vieux et ignorant barbier de Bellano que ce mal n’était point la peste[3], » mais que c’était en certains endroits l’effet ordinaire des émanations des marais pendant l’automne, et partout ailleurs la conséquence des souffrances et des mauvais traitements que ces populations avaient éprouvées dans le passage des Allemands. Cette assurance fut rapportée au tribunal dont il paraît qu’elle dissipa toutes les inquiétudes.