Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/488

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sieurs du conseil, leur témoigna combien il s’associait à leurs peines, après quoi venaient de nouvelles exhortations : il regrettait de ne pouvoir se trouver dans la ville, pour donner tous ses soins à la soulager ; mais il espérait que le zèle de ces messieurs saurait suffire à tout ; c’était un moment où l’on devait ne pas regarder à la dépense et chercher tous les moyens d’y faire face. Quant aux demandes qui lui étaient adressées, proveeré, disait-il, en el mejor modo que el tiempo y necesidades presentes permitieren[1]. Et au bas, un hiéroglyphe mis pour signifier Ambroise Spinola, et tout aussi clair que ses promesses. Le grand chancelier Ferrer lui écrivit que cette réponse avait été lue par les décurions, con gran desconsuelo[2]. Il y eut d’autres allées et venues, d’autres demandes et d’autres réponses ; mais je ne vois pas qu’on en soit venu à un résultat plus positif. Quelque temps après, au moment où la peste sévissait le plus, le gouverneur transmit, par lettres patentes, son autorité à Ferrer même, ayant, quant à lui, comme il l’écrivit, à s’occuper de la guerre ; laquelle guerre, soit dit ici incidemment, après avoir emporté, sans parler des soldats, au moins un million de personnes, par la contagion, dans la Lombardie, le pays vénitien, le Piémont, la Toscane et une partie de la Romagne ; après avoir désolé, comme on l’a vu plus haut, les lieux par lesquels elle passa, ce qui donne l’idée de ce qu’elle fit souffrir à ceux qui en furent le théâtre ; après la prise et le sac atroce de Mantoue ; laquelle guerre, disons-nous, finit par la reconnaissance consentie par tous du nouveau duc de cet État, de ce duc pour l’exclusion duquel cette même guerre avait été entreprise. Il faut pourtant ajouter qu’il fut obligé de céder au duc de Savoie une partie du Montferrat, dont le revenu était de quinze mille écus, et à Ferrant duc de Guastalla d’autres terres d’un revenu de six mille. Il faut dire encore qu’il y eut un autre traité séparé et très-secret, par lequel le même duc de Savoie céda Pignerol à la France, traité qui reçut quelque temps après son exécution, sous d’autres prétextes et à force de finesses et de tromperies.

Les décurions, en même temps qu’ils avaient pris la résolution dont nous venons de parler, en avaient arrêté une autre, celle de demander au cardinal archevêque qu’il fût fait une procession solennelle, en portant dans la ville le corps de saint Charles.

Le bon prélat refusa pour plusieurs raisons. Il voyait avec peine cette confiance dans un moyen qui ne présentait pas une certitude de succès, et il craignait que si l’événement n’y répondait pas, comme ce n’était à ses yeux que trop possible, la confiance se changeât en scandale[3]. Il craignait encore que, s’il y avait effectivement des Untori[4], la procession ne leur donnât trop de facilités pour commettre leur crime : s’il n’y en avait point, une réunion aussi nom-

  1. J’aviserai aux moyens d’y satisfaire autant que les circonstances et les besoins du moment pourront le permettre.
  2. Avec grand chagrin.
  3. Memoria delle cose notabili successe in Milano intorno al mal contagioso l’anno 1630, etc., raccolte da D. Pio La Croce, Milano, 1730.
  4. Ce mémoire est pris évidemment de l’écrit inédit d’un auteur qui vivait au temps de la peste,