Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/491

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les prisons. Heureusement le palais de justice n’est pas loin du Duomo, et, par un bonheur plus grand encore, ils furent reconnus innocents et relâchés.

Ce n’était pas seulement dans la ville que se voyaient de semblables violences. La frénésie s’était propagée comme la contagion. Le voyageur que des paysans rencontraient hors de la grande route, celui qui, sans l’avoir quittée, s’amusait à regarder de côté ou d’autre ou se couchait à terre pour se reposer, l’inconnu à qui l’on trouvait dans la figure ou le costume quelque chose d’étrange et de suspect, tous étaient des untori : l’avis du premier venu, le cri d’un enfant suffisaient pour qu’on sonnât le tocsin, qu’on accourût de toutes parts : les malheureux étaient poursuivis à coups de pierres, ou saisis et, par une foule furieuse, conduits en prison. Ainsi le dit encore Ripamonti. Et la prison, jusqu’à une certaine époque, fut un port de salut.

Mais les décurions, sans se rebuter du refus du cardinal relativement à la procession, renouvelaient auprès de lui leurs instances que secondait le vœu public, non sans une assez vive rumeur. Le sage prélat résista quelque temps encore ; il tenta la voie de la persuasion. Ce fut là tout ce que put le bon sens d’un homme contre le raisonnement de son siècle et l’insistance des voix qui s’en faisaient les trop nombreux échos. En présence des opinions dont nous venons de voir l’empire, avec l’idée du danger telle qu’elle existait alors, vague, combattue, bien éloignée de l’évidence qu’elle a pour nous maintenant, il n’est pas difficile de concevoir comment ses bonnes raisons purent, dans son esprit même, être subjuguées par les mauvaises raisons des autres. Y eut-il ensuite quelque faiblesse de volonté dans sa condescendance ? Ce sont de ces mystères du cœur humain qu’il ne nous est point donné d’éclairer. Du moins pouvons-