Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/545

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

poir, s’étaient vus également, par leur faiblesse, dans l’impossibilité d’aller plus loin. D’autres erraient isolés, dans une sorte de stupidité, plusieurs même tout à fait privés de leur raison ; l’un s’échauffait à raconter ses rêveries à un malheureux couché par terre et accablé par le mal ; l’autre s’agitait en mouvements désordonnés ; un autre encore se montrait tout riant, comme s’il assistait à un gracieux spectacle. Mais ce qui faisait le plus de bruit et semblait le plus étrange dans cette manie de si triste gaieté, était un chant élevé et continuel qu’on aurait dit ne pas venir du milieu de cette misérable multitude et qui dominait cependant toutes les autres voix ; une de ces chansons populaires de plaisir et d’amour que l’on appelait villanelle ; et si l’on voulait du regard suivre le son pour découvrir qui pouvait se livrer à la joie dans un temps pareil et dans un tel lieu, on voyait un malheureux qui, assis tranquillement au fond du fossé, chantait à gorge déployée, le visage en l’air.

Renzo avait à peine fait quelques pas le long du côté méridional de l’édifice, lorsqu’il s’éleva parmi la foule une rumeur extraordinaire et de loin se firent entendre des voix qui criaient : « Gare, gare ; arrêtez-le ! » Il se dresse sur la pointe des pieds et voit un grand vilain cheval qui venait ventre à terre, poussé par un cavalier d’un aspect plus désagréable encore ; c’était un frénétique qui, ayant vu cet animal libre près d’un chariot, était bien vite monté dessus, et, le frappant à coups redoublés de son poing sur le cou, de ses talons dans le ventre, le faisait aller à bride abattue ; derrière venaient des monatti en criant ; et tout cela presque aussitôt se perdit dans un nuage de poussière.

C’est dans l’état d’étourdissement et de fatigue où la vue de tant de maux avait déjà jeté notre pauvre jeune homme, qu’il arriva à la porte du lieu où se trouvaient peut-être plus de maux réunis qu’il n’en avait trouvé d’épars dans tout l’espace qu’il avait parcouru jusque-là. Il se présente à cette porte, il entre sous la voûte, et reste un moment immobile au milieu du portique.