Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/565

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« Lucia ! dit Renzo, sans changer de place ; dites-moi, du moins, dites-moi : si ce n’était cette raison… seriez-vous la même pour moi ?

— Homme sans pitié, répondit Lucia en se tournant et retenant avec peine ses larmes ; quand vous m’auriez fait dire des paroles inutiles, des paroles qui me feraient mal, des paroles qui seraient peut-être des péchés, seriez-vous content ? Allez, oh ! oui, allez. Oubliez-moi : on voit que nous n’étions pas destinés !… Nous nous reverrons là-haut : ce n’est pas pour longtemps qu’on est en ce monde. Allez ; tâchez de faire savoir à ma mère que je suis guérie, qu’ici même la Providence est toujours venue à mon secours, que j’ai trouvé une âme charitable, cette bonne compagne, qui est pour moi comme une seconde mère ; dites-lui que j’espère qu’elle sera, elle, préservée de ce mal, et que nous nous reverrons quand Dieu voudra et comme il voudra… Allez, pour l’amour de Dieu, et ne pensez plus à moi… si ce n’est dans vos prières. »

Et comme une personne qui n’a plus rien à dire et ne veut plus rien entendre, comme une personne qui veut se soustraire à un danger, elle se retira encore plus en arrière en s’approchant du lit où était couchée la femme dont elle avait parlé.

« Écoutez, Lucia, écoutez ! dit Renzo, sans toutefois s’avancer davantage vers elle.

— Non, non ; allez, par charité.

— Écoutez : le père Cristoforo…

— Quoi ?

— Est ici.

— Ici ? Où ? Comment le savez-vous ?

— Je lui ai parlé tout à l’heure. J’ai été longtemps avec lui ; et il me semble qu’un religieux de son mérite…

— Il est ici ! pour assister les pauvres pestiférés, sans doute ? Mais lui, l’a-t-il eue, la peste ?

— Ah ! Lucia ! je crains, je crains bien… et tandis que Renzo hésitait ainsi à prononcer le mot douloureux pour lui et qui devait être si douloureux pour Lucia, elle s’était de nouveau écartée du lit et se rapprochait de lui ; je crains qu’il ne l’ait dans ce moment même !

— Oh ! pauvre saint homme ! Mais que dis-je, pauvre homme ? C’est nous qui, dans ce cas, sommes à plaindre ! Comment est-il ? est-il au lit ? a-t-il quelqu’un pour l’assister ?

— Il est sur pied, il va, il assiste les autres. Mais si vous voyiez comme il est défait, comme il a peine à se soutenir ! On en a tant et tant vu… qu’on n’a que trop appris à ne pas se tromper.

— Oh ! quel chagrin ! Et il est vraiment ici ?

— Ici, et pas bien loin ; pas beaucoup plus que de votre maison à la mienne, si vous vous en souvenez !…

— Oh ! très-sainte Vierge !

— Eh bien, pas beaucoup plus loin. Vous pouvez vous figurer si nous avons parlé de vous ! Il m’a dit des choses… Et si vous saviez ce qu’il m’a fait voir !