Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/584

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fusil qui ne portent pas leur coup restent à terre, où elles ne font mal à personne. C’était la conséquence nécessaire de la grande facilité avec laquelle ces décrets étaient incessamment prodigués. L’activité de l’homme est limitée, et tout ce que le commandement se donnait en plus devait se trouver en moins dans l’exécution : l’étoffe qui entre dans les manches ne peut entrer tout à la fois dans les pans.

Si l’on désire savoir sur quel pied Renzo vivait avec don Abbondio durant cette époque d’attente, je dirai qu’ils se tenaient à distance l’un de l’autre ; celui-ci par la crainte d’entendre résonner à son oreille quelque parole de mariage, chose à laquelle il ne pouvait penser sans avoir aussitôt devant ses yeux don Rodrigo d’un côté avec ses bravi, le cardinal de l’autre avec ses arguments ; celui-là, parce qu’il avait résolu de ne lui en parler qu’au moment de conclure, ne voulant pas risquer de l’effaroucher avant le temps, de faire naître quelque difficulté toujours à craindre de la part d’un tel homme, et d’embrouiller les choses par des propos inutiles. Ses causeries, c’était pour Agnese qu’il les réservait. « Croyez-vous qu’elle vienne bientôt ? » demandait l’un. « Je l’espère, » répondait l’autre, et souvent celui qui avait fait cette réponse faisait, le moment d’après, la même demande, l’un et l’autre s’ingéniant, par de semblables finesses, à faire passer le temps qui leur semblait d’autant plus long qu’il y en avait plus d’écoulé.

Nous l’abrégerons beaucoup nous-mêmes pour le lecteur, en lui disant en substance que, quelques jours après la visite de Renzo au lazaret, Lucia en sortit avec la bonne veuve ; qu’une quarantaine générale ayant été ordonnée, elles la firent ensemble, renfermées dans la maison de cette dernière ; qu’une partie de ce temps fut employée à préparer le trousseau de Lucia, ouvrage auquel, après avoir fait quelques façons, elle fut obligée de travailler elle-même ; que, la quarantaine finie, la veuve laissa son magasin et sa maison sous la garde de son frère le commissaire, et que l’on fit les préparatifs du voyage. Nous pourrions du même train ajouter : elles partirent, elles arrivèrent, et ce qui s’ensuit ; mais, malgré tout le désir que nous avons de nous prêter à l’impatience du lecteur, il y a trois choses appartenant à cet espace de temps, que nous ne voudrions point passer sous silence ; et, pour deux au moins, nous croyons que le lecteur lui-même dira que nous aurions eu tort.

La première, c’est que lorsque Lucia reparla à la veuve de ses aventures, plus en détail et avec plus d’ordre qu’elle n’avait pu le faire dans l’agitation de sa