Aller au contenu

Page:Alessandro Manzoni - Les fiancés, trad. Montgrand, 1877.djvu/590

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

c’était tout à fait l’homme de l’autre fois, absolument ce même ton, ces mêmes raisons ; je suis sûr que, pour peu que cela durât encore, il allait de nouveau m’arriver avec quelques mots de latin. Je vois que tout ceci nous mènerait à de nouvelles longueurs ; il vaut mieux tout simplement faire comme il dit, aller nous marier là où nous devons fixer notre demeure.

— Savez-vous ce que je suis d’avis que nous fassions ? dit la veuve ; que nous allions, nous autres femmes, faire une autre tentative et voir si elle nous peut mieux réussir. J’y gagnerai pour ma part de le connaître, cet homme, et de juger s’il est bien tel que vous dites. Allons-y après dîner, pour ne pas lui retomber trop tôt sur le corps. À présent, monsieur le futur, menez-nous, nous deux, faire un tour de promenade, pendant qu’Agnese est en affaires. Je serai la maman de Lucia, et j’ai vraiment grande envie de voir un peu mieux ces montagnes, ce lac, dont j’ai tant ouï parler, et dont le peu que j’ai vu m’a déjà semblé une bien belle chose. »

Renzo les conduisit d’abord à la maison de son hôte, où ce fut une nouvelle fête ; et ils lui firent promettre que, non-seulement ce jour-là, mais tous les jours, s’il pouvait, il viendrait dîner avec eux.

La promenade faite, et le dîner fini, Renzo sortit sans dire où il allait. Les femmes restèrent quelque temps à causer, à se concerter sur la manière d’attaquer don Abbondio ; et enfin elles marchèrent à l’assaut.

« Voici les autres, maintenant, » dit notre homme en lui-même ; mais il paya d’assurance, fit de grandes félicitations à Lucia, des salutations amicales à Agnese, des politesses à l’étrangère. Il les fit asseoir, et puis aussitôt mit la conversation sur la peste ; il voulut savoir de Lucia comment elle avait passé ce temps de douleurs ; le lazaret fournit l’occasion de faire parler aussi celle que Lucia y avait eue pour compagne ; puis, comme de juste, don Abbondio en vint à sa propre bourrasque ; puis de grands témoignages de satisfaction à Agnese sur ce qu’elle était sortie de la crise sans en éprouver de mal. Cela commençait à devenir long. Dès le principe de l’entretien, les deux anciennes épiaient le moment propice pour amener sur le tapis le sujet essentiel ; enfin, je ne sais laquelle des deux rompit la glace. Mais que voulez-vous ? don Abbondio était sourd de cette oreille-là. Ce n’est pas qu’il dît non ; mais le voilà de nouveau dans ses phrases ambiguës, dans ses réponses évasives, dans ses alibiforains d’usage. « Il faudrait, disait-il, pouvoir faire annuler cette fâcheuse prise de corps. Vous, madame, qui êtes de Milan, vous devez connaître plus ou moins le train des affaires, vous devez avoir de bons appuis, quelque gentilhomme de poids à qui vous adresser pour ces braves gens ; car avec ces moyens-là on guérit toute plaie. Si ensuite on voulait aller par le plus court, sans s’embarquer en tant de démarches, puisque ces jeunes gens et notre bonne Agnese ont l’intention de s’expatrier (et au fait je ne saurais que dire à cela, la patrie est partout où l’on se trouve bien), il me semble que tout pourrait se faire là où la prise de corps n’atteint point. En vérité, il me tarde on ne peut plus de voir cette alliance conclue ; mais je la voudrais conclue d’une manière calme, satisfaisante. Ici, je vous l’avoue, avec cette prise de corps en vigueur, venir pro-