autres personnages ; et je sais de bon lieu que le pape, qui attache un très-grand intérêt à la paix, a fait des propositions…
— Cela doit être ; la chose est dans les règles ; Sa Sainteté fait son devoir ; un pape doit toujours mettre la paix entre les princes chrétiens ; mais le comte-duc a sa politique, et…
— Et, et, et ; savez-vous, mon cher monsieur, quelle est en ce moment la pensée de l’empereur ? Est-ce que vous croyez qu’il n’y a que Mantoue au monde ? Il y a bien des choses auxquelles il faut songer, mon cher monsieur. Savez-vous, par exemple, jusqu’à quel point l’empereur peut actuellement se fier à son prince de Valdistano ou de Val’istai, ou comme soit qu’on l’appelle, et si…?
— Son véritable nom en langue allemande, interrompit encore le podestat, est Vagliensteino[1], comme je l’ai entendu prononcer plus d’une fois par monsieur notre commandant espagnol du château. Mais soyez bien tranquille, car…
— Voulez-vous m’apprendre ? reprenait le comte ; mais don Rodrigo, lui fit signe de l’œil pour le prier, à sa considération, de cesser de contredire. Le comte se tut, et le podestat, comme un navire remis à flot après avoir touché un bas-fond, poursuivit à pleines voiles le cours de son éloquence. « Vagliensteino m’inquiète peu ; car le comte-duc a l’œil à tout et partout ; et si Vagliensteino veut faire le crâne, il saura bien, par la douceur ou par la force, l’obliger à marcher droit. Il a l’œil partout, dis-je, et le bras long ; et s’il s’est mis en tête, comme il se l’est mis en effet, et justement, en grand politique qu’il est, que le seigneur duc de Nevers ne prenne pas racine à Mantoue, le seigneur duc de Nevers n’y en prendra pas ; et le seigneur cardinal de Riciliou aura donné un coup d’épée dans l’eau. Il me fait vraiment rire, ce cher cardinal, qui veut venir s’attaquer à un comte-duc, à Olivarès. En vérité je voudrais renaître d’ici à deux cents ans pour voir ce que dira la postérité de cette jolie prétention. Ce n’est pas tout que d’être envieux ; il faut de la tête : et des têtes comme la tête du comte-duc, il n’y en a qu’une au monde. Le comte-duc, messieurs, poursuivit le podestat, toujours avec le vent en poupe et un peu surpris lui-même de ne plus rencontrer d’écueil, le comte-duc est un vieux renard, sauf respect, qui ferait perdre la piste à qui que ce soit ; et quand il fait mine d’aller à droite, on peut être sûr qu’il prendra la gauche : d’où il arrive que personne ne peut jamais se vanter de connaître ses desseins ; et ceux-là même qui doivent les mettre à exécution, ceux-là même qui écrivent ses dépêches, n’y comprennent rien. J’en puis parler avec quelque connaissance de cause ; parce que notre digne commandant du château veut bien me témoigner quelque confiance dans les entretiens que nous avons ensemble. Le comte-duc, au contraire, sait de point en point ce qui bout dans la marmite de toutes les autres cours ; et tous ces grands politiques, parmi lesquels, on ne peut le nier, il y en a de très-fins, ont à peine conçu un projet que le comte-duc l’a déjà deviné avec sa forte tête, avec ses voies cachées, avec ses fils tendus de toutes parts. Ce pauvre homme
- ↑ Le podestat, qui veut faire l’habile, ne sait pas mieux que son interlocuteur le nom de Wallenstein. (N. du T.)