Page:Alexis - Émile Zola. Notes d’un ami, Charpentier, 1882.djvu/215

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

au sentiment juste de la réalité. Son état ordinaire consiste à frissonner d’anxiété et à rester sur le qui-vive. Disposition d’esprit qui, certes, l’empêche de jouir de la renommée, mais qui l’excite au travail autant qu’autrefois.

En tenant compte de tout, malgré sa situation, jeune encore, riche, discuté, injurié, mais célèbre, il n’est pas un homme heureux ; et les milliers de gens qui, de loin, doivent envier son sort, ne savent ce qu’ils envient. Cet argent qui lui afflue de tous cotés, après lui avoir si longtemps manqué, ne lui procure d’autre joie que la courte satisfaction d’être dépensé à des fantaisies. Bien portant, il se croit malade. Auteur de livres qui sont dans toutes les mains, il ne peut se relire lui-même. Arrivé, il a la continuelle sensation d’être un débutant. Célèbre, il se met chaque matin devant sa table avec l’appréhension de ne plus pouvoir écrire deux lignes. Doutant sans cesse de lui, se traitant d’idiot à chaque minute, voilà que la bêtise d’autrui le fait bondir. Nerveux et impressionnable, éprouvant plus douloureusement qu’un autre s’il exprime plus fortement, il ne connaît pas la tranquillité. Il ne jouit de rien : toujours l’idée fixe, aucun dilettantisme. On raconte que Delacroix, à son lit de mort, pensant à ce qu’il avait souffert dans sa longue carrière, disait : « Je meurs enragé ! » Eh bien ! Émile Zola, lui, vit comme Delacroix mourut : enragé ! Enragé, dit-on, contre les autres ; enragé bien davantage contre lui-même.