Page:Alexis - Émile Zola. Notes d’un ami, Charpentier, 1882.djvu/238

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raffiné sur les orfèvreries des poètes impeccables, on a mis la poésie hors de l’humanité, dans le pur travail de la langue et du rythme. Eh bien ! je veux dire que si, pour ma grande honte à coup sûr, je m’étais entêté à faire des vers, j’aurais protesté contre ce mouvement que je juge déplorable. Notre poésie française, après l’épuisement de la veine superbe de 1830, trouvera son renouveau dans un retour au vieux bon sens national, à l’étude vivante des douleurs et des joies de l’homme.

Au demeurant, je n’ai pu relire mes vers sans sourire. Ils sont bien faibles, et de seconde main, pas plus mauvais pourtant que les vers des hommes de mon âge qui s’obstinent à rimer. Ma seule vanité est d’avoir eu conscience de ma médiocrité de poète et de m’être courageusement mis à la besogne du siècle, avec le rude outil de la prose. À vingt ans, il est beau de prendre une telle décision, surtout avant d’avoir pu se débarrasser des imitations fatales. Si donc mes vers doivent servir ici à quelque chose, je souhaite qu’ils fassent rentrer en eux les poètes inutiles, n’ayant pas le génie nécessaire pour se dégager de la formule romantique, et qu’ils les décident à être de braves prosateurs, tout bêtement.

Chateaubriand dit dans ses Mémoires : « J’ai écrit longtemps en vers avant d’écrire en prose. M. de Fontanes prétendait que j’avais reçu les deux instruments. » J’ai, moi aussi, écrit longtemps en vers avant d’écrire en prose ; mais, si j’ignore ce qu’aurait prétendu M. de