Page:Alexis - Émile Zola. Notes d’un ami, Charpentier, 1882.djvu/30

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modéré. Pour élever le monument de sa haute ambition littéraire, tous les jours de l’année, tous les matins à son lever, après avoir mangé un œuf sur le plat, sans boire, il s’installe dans son large fauteuil Louis XIII, devant, son bureau où tout : encrier, buvard, livres, papier, est méthodiquement rangé à sa place ; puis, avec le grattoir, il fait aussitôt la toilette de sa plume, la débarrassant de l’encre séchée de la veille ; puis, après un rapide coup d’œil jeté sur ses notes d’ensemble, il se met à l’œuvre, reprenant la page où il l’a laissée la veille, souvent au milieu même d’une phrase, sans relire jamais ce qui précède pour s’entraîner, comme ont besoin de le faire les travailleurs irréguliers ; et il ne s’arrête, il ne se met, à vivre de la vie ordinaire, que lorsqu’il a achevé sa tâche quotidienne : quatre pages le plus souvent, des pages de papier écolier ordinaire coupé en deux, des pages d’une trentaine de lignes, sans marge, d’une écriture compacte, ferme et régulière, sympathique à force de logique et de clarté. Presque pas de ratures. On sent que cette prose a été coulée là syllabe, à syllabe, continuellement. Ce n’est rien que quatre pages, mais cela tous les jours, tous les jours : la force de la goutte d’eau tombant à la même place et finissant par entamer la pierre la plus dure ! Ce n’est rien, mais, à la longue, les chapitres succèdent aux chapitres, les volumes s’entassent sur les volumes, et l’œuvre de toute une vie pousse, multiplie ses bran-