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LES FEMMES DU PÈRE LEFÈVRE.

ment espacées prolongeant leur déchirement lugubre dans la nuit. Pour le coup la ville se réveilla tout à fait : çà et là des lampes s’allumèrent ; des fenêtres s’ouvrirent dans toutes les rues ; des têtes hargneuses emmaillotées de foulards et de coiffes de nuit, bravèrent la bise glacée ; des yeux encore gonflés interrogèrent les ténèbres. Mais rien ! ni ombre rasant les murs, ni bruits de pas étouffés ; ni même un éclat de rire sortant de l’abri de quelque porte cochère. Seules, quelques servantes du « quartier des Nobles », où les détonations semblaient plus fréquentes qu’ailleurs, prétendirent le lendemain, tout en remplissant leur cruche à la fontaine du Bon-Grand-Homme local, qu’elles avaient entendu les signaux stridents d’un sifflet, et deviné la lueur d’une lanterne sourde. Quoi qu’il en fût, la ville entière ne s’était pas méprise un instant sur le compte de la main invisible qui lui avait ainsi troublé son sommeil.

— Les étudiants ! encore ces êtres insupportables !

La ville entière les détestait : comme elle détestait tout ce qui lui venait du dehors, l’officier du régiment de passage qu’il lui fallait loger, et le fonctionnaire envoyé de Paris ; comme elle détestait ce progrès moderne qui avait eu l’audace d’allonger ses rails jusqu’à elle, de lui fourrer sous le nez une gare irrévérencieuse, avec architecture de fonte, plaques tournantes, et locomotives, aux panaches de fumée narquois, qui osaient lui cracher de la va-