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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/226

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LES FEMMES DU PÈRE LEFÈVRE.

— Parlez, je vous conseille ! c’est moi qui vous propose en vain de partir depuis une heure.

— Oh ! tenez ! étonnant ! bizarre !… Retournez-vous donc.

— Oui ! contre la façade des maisons d’en face, leurs ombres chinoises… Très comique !

Démesurément grandes, les ombres des Coqs enlaçant les femmes dans leurs bras, dansaient du haut en bas des maisons de l’allée du Midi. Selon les hasards de la valse ou du quadrille, c’était à chaque instant une mêlée énorme de bras, de jambes, de têtes, sautant, bondissant, tournoyant. On eût dit une seule bête monstrueuse, aux membres innombrables, expirant dans la danse de Saint-Gui d’une agonie convulsive. Puis bras, têtes et jambes se touchaient, se confondaient, et ce n’étaient plus qu’une masse brouillée ; tout s’affaissait sous un voile noir derrière lequel, maintenant, on devinait encore les secousses de quelque besogne effrénée et bouffonnement polissonne. Puis, le voile se déchirait, et sur le fond tout à coup lumineux des façades d’en face, c’était la silhouette gigantesque d’une jambe en l’air, d’une jambe de femme au mollet colossal sortant de l’enseigne du café Durand, et dont le pied, par dessus le faîte du plus haut étage, chahutait, un peu dans le ciel.

Le bal dura la nuit entière. D’heure en heure, le crieur de nuit passait vite, vite, dans ses chaussures de corde, glapissant sa plainte lugubre. Tout pressé qu’il était, chaque fois il stationnait quelques instants,