Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

hautes relations que je conserve au ministère, ont facilité son envoi en Algérie, où il touche des émoluments plus considérables.

Le commandant Derval, lui, me stupéfie. Quel changement en cet homme depuis le soir néfaste, où, pour obéir à Hélène, je suis allé lui apprendre la fuite de sa fille ! — « Enlevée !… Adultère !… Nom de Dieu ! ma fille ! » — J’entends encore ses cris rauques. Je revois sa face congestionnée, les veines de son cou gonflées. Et il s’arrachait de désespoir son ruban rouge. Il me menaçait de sa canne, moi, auteur du mariage ! Et il voulait courir, au milieu de la nuit, chez Moreau « lui mettre son pied quelque part », puis prendre le chemin de fer, tomber chez les fugitifs, brûler la cervelle au comte de Vandeuilles… Je parvins à le fourrer de force dans son lit, où il passa trois jours entre la vie et la mort. Je ne le quittais pas d’une minute. Des saignées, des purgations, des vomitifs, le tirèrent d’affaire. Mais il passa encore quelques semaines d’abattement et de prostration, n’osant sortir, me répondant à peine quand j’allais le voir, affectant de ne même plus vouloir entendre prononcer le nom de l’absente. Un court séjour que je lui fis faire à la campagne produisit une diversion heureuse. Aujourd’hui, le pauvre homme a repris une à une ses habitudes : le cercle deux fois par jour, sa sieste dans l’après-midi, son loto à vingt-cinq centimes le soir. Il raconte aussi volontiers ses souvenirs d’Afrique : « Quand j’étais au