Aller au contenu

Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
284
JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

— Attendez ! fit Hélène.

Elle me la reprit, la consola, l’embrassa, puis sonna la bonne et la fit emporter.

— Eh bien, mon pauvre père !…

Nous parlâmes longtemps du mort. Elle savait tout par ma longue lettre. Mais elle m’interrogeait sur ce qu’elle savait déjà, multipliant les questions, avide de minutieux détails. Tout en la satisfaisant de mon mieux, une partie de mon être était distraite, ne s’intéressant qu’à la joie d’être là, errant des fleurs bleues du tapis aux vases du Japon de la cheminée, m’efforçant de graver à jamais en moi l’empreinte de cet intérieur, pour l’évoquer à volonté et y vivre par la pensée quand je m’en serais éloigné. Par la fenêtre ouverte, un cerceau d’enfant et sa baguette attendaient, au milieu du balcon plein de soleil. De petits cris de Lucienne jouant avec sa bonne, m’arrivaient de la pièce voisine. Et c’était surtout à Hélène que je m’attachais, moulant en moi les traits de son pâle visage, les contours de sa chevelure, les moindres plis de son peignoir un peu ample pour dissimuler sa nouvelle grossesse, guettant la pointe de sa pantoufle qui se cachait à chaque instant comme une petite bête craintive. Et, à mesure qu’elle me parlait, je vibrais à toutes les émotions que je voyais passer au fond de ses grands yeux noirs. La maladie de son père : je souffrais avec elle ! L’enterrement : une rage me secouait comme elle contre la curiosité malveillante d’une population ! Une larme trem-