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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/303

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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

Mais elle me cassa bras et jambes par cette phrase :

— Vous êtes donc resté le même, mon pauvre monsieur Mure… Toujours dans la lune !…

Rentrés au salon, nous nous étions assis sans rien dire. La tête basse, absorbé par la contemplation machinale des fleurs du tapis, je pensais : « C’est elle qui est toujours la même ! je ne le sais que trop… Et moi, je ne suis rien pour elle, je ne compte pas dans sa vie… Si elle m’a d’abord vu volontiers, si elle a tenu à me faire faire le tour de son appartement, c’était uniquement pour me montrer de sa vie ce qu’elle voulait que tout le monde en sache, là-bas, à X… : qu’elle a les dehors du bonheur… Mais, quand j’ai voulu approfondir, elle s’est efforcée de me donner le change, puis elle s’est révoltée ; l’intérêt que je lui porte l’exaspère, et ma pitié lui fait horreur ! » Toutes ces réflexions poussées à la fois, en moins de temps que je n’ai mis à les écrire, douloureuses à porter comme une brassée d’orties ; puis, au milieu d’elles, cette conviction : « Elle n’est pas heureuse ! » et, tout au fond de moi, sans trop m’en rendre compte, une sorte de satisfaction mauvaise, rendant moins lancinantes mes blessures. Apercevant alors mon chapeau à côté de moi sur une chaise, je le repris à la main. Et, le silence devenant gênant, je cherchais quelque chose à dire. Mais je ne trouvais rien, maintenant, j’aurais voulu être parti.

— À propos, dis-je enfin, j’allais oublier le but