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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

square triste qui est derrière Notre-Dame, à la vue du sinistre bâtiment, une grande émotion me serra à la gorge. « Si je me trouve en face d’elle, étendue sur une des dalles, nue, le visage défiguré par les douloureuses contorsions de l’agonie ! » Je hâtai le pas et j’entrai. Ce jour-là, il n’y avait pas de cadavre. Les visages des passants entrés par curiosité, prenaient une expression désappointée ; certains se regardaient en souriant. Je ne quittais pas des yeux les vêtements des morts anciens dont l’identité n’est pas reconnue, défroque lamentable pendue derrière le vitrage. Çà et là, je distinguais des nippes de femmes. Quel cœur avait pu battre autrefois sous cette guimpe effilochée ! Sur quelle jambe, ce bas couleur chair taché de sang, était-il excitant à voir, bien tiré ! Vers quelle passion aussi avaient-elles dû trotter, ces petites bottines, maintenant en bouillie pour avoir séjourné dans la Seine ! Étais-je bien sûr, moi, qu’elles n’avaient pas chaussé les petits pieds d’Hélène ?

Et, hier soir, en sortant de dîner… Il était de trop bonne heure pour aller me coucher, je fumais un cigare sur le boulevard. Tout à coup, devant le café des Princes, je m’arrête, pétrifié : une femme, seule à une table, devant un bock à moitié bu, me souriait. « Hélène !… Mais voilà Hélène ! » C’était à s’y tromper ; cette femme lui ressemblait tellement : mêmes traits, même regard, même sourire ! que c’était Hélène, et Hélène me reconnaissant, m’appelant, me faisant de petits signes de tête. Comme je restais planté là, ne