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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

cert voisin, enclavé au premier étage d’un hôtel-garni louche, des roulades de baryton langoureux bramant l’amour arrivaient, avec accompagnement de piano. À côté du bureau de tabac-épicerie, une gargote, où l’on voyait des gens dîner à des tables sans nappes, répandait une odeur de friture. Devant le kiosque de la marchande de journaux, une fille en cheveux, son petit chien sous le bras, achetait un journal d’un sou. Des hommes vaguement souls rasaient les maisons d’un pas chancelant. Et Hélène hésitait, toujours à la même place, respirant longuement ses violettes.

Elle finit par se décider, tourna à droite, évita une fontaine-Wallace dont les gamins s’amusaient à faire éclabousser l’eau à pleins gobelets, et prit le boulevard extérieur. L’orgue jouait toujours. À son appel persistant et nasillard, où, çà et là, des trous faisaient penser à l’égosillement d’un pitre asthmatique, il arrivait du monde. C’était déjà un grand cercle de gens occupant tout le large trottoir, d’une rangée à l’autre des petits platanes.

Au milieu, un saltimbanque en longue jaquette noire sous laquelle on voyait commencer le maillot, étendait un vieux tapis, allumait et disposait en rond six chandelles fichées dans des goulots de bouteilles. D’énormes poids avaient été déposés au pied d’un arbre. Là, un second saltimbanque, également en jaquette, attendait, assis sur un tonneau, les jambes pendantes.