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Page:Alexis - La Fin de Lucie Pellegrin, etc, 1880.djvu/350

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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

dont l’existence était peut-être restée la même : facile et douce, occupée par des affections régulières, bourgeoisement heureuse ; tandis qu’Hélène… Alors mes yeux se mouillèrent. Toutes les petites lueurs jaunes de la gare disparurent, noyées dans mes larmes. Et maintenant, ce que je voyais distinctement, c’était la chaîne entière des fatalités de la vie d’Hélène : Fernand ! M. de Vandeuilles ! Moreau ! Puis, au commencement, moi ! Moi, cause première de tout, je l’avais mariée ! Moi, je l’avais poussée à l’adultère élégant ! Moi, je venais de la laisser glisser dans la boue ! C’était donc à moi de la ramasser. Ce ne fut plus alors qu’un besoin de les suivre, une rage de les rejoindre, de leur parler. Mais la rue de Rome était déserte. Ils avaient dû tourner à droite, revenir aux Batignolles. Je me mis à courir jusqu’au coin de la rue des Dames ; puis, ne les voyant pas, jusqu’au coin de la rue de La Condamine. Rue Legendre, un couple filait vers le square. Ce n’était pas eux ! J’ai remonté l’avenue de Clichy jusqu’à la Fourche. Là, je ne me suis pas trompé, je les ai revus tous les deux, très bas dans l’avenue de Saint-Ouen. Ils passaient sous un réverbère. Mes yeux de presbyte ont reconnu Hélène. Mais ils avaient trop d’avance. J’ai fouillé en vain un dédale de petites rues pauvres. Puis, je suis rentré, j’ai guetté à la fenêtre, je suis ressorti. Rentré de nouveau, je viens d’écrire tout ceci, pour tâcher d’oublier qu’Hélène est dans les bras de Fernand.