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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

Comment faire supporter la liberté dans les grandes choses à une multitude qui n’a pas appris à s’en servir dans les petites ?

Comment résister à la tyrannie dans un pays où chaque individu est faible, et où les individus ne sont unis par aucun intérêt commun ?

Ceux qui craignent la licence, et ceux qui redoutent le pouvoir absolu, doivent donc également désirer le développement graduel des libertés provinciales.

Je suis convaincu, du reste, qu’il n’y a pas de nations plus exposées à tomber sous le joug de la centralisation administrative que celles dont l’état social est démocratique.

Plusieurs causes concourent à ce résultat, mais entre autres celle-ci :

La tendance permanente de ces nations est de concentrer toute la puissance gouvernementale dans les mains du seul pouvoir qui représente directement le peuple, parce que, au delà du peuple, on n’aperçoit plus que des individus égaux confondus dans une masse commune.

Or, quand un même pouvoir est déjà revêtu de tous les attributs du gouvernement, il lui est fort difficile de ne pas chercher à pénétrer dans les détails de l’administration, et il ne manque guère de trouver à la longue l’occasion de le faire. Nous en avons été témoins parmi nous.

Il y a eu, dans la révolution française, deux mouvements en sens contraire qu’il ne faut pas confondre : l’un favorable à la liberté, l’autre favorable au despotisme.

Dans l’ancienne monarchie, le roi faisait seul la loi.