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GOUVERNEMENT FÉDÉRAL.

des affaires aux États-Unis, sans s’apercevoir que le désir d’être réélu domine les pensées du président ; que toute la politique de son administration tend vers ce point ; que ses moindres démarches sont subordonnées à cet objet ; qu’à mesure surtout que le moment de la crise approche, l’intérêt individuel se substitue dans son esprit à l’intérêt général.

Le principe de la réélection rend donc l’influence corruptrice des gouvernements électifs plus étendue et plus dangereuse. Il tend à dégrader la morale politique du peuple, et à remplacer par l’habileté le patriotisme.

En Amérique, il attaque de plus près encore les sources de l’existence nationale.

Chaque gouvernement porte en lui-même un vice naturel qui semble attaché au principe même de sa vie ; le génie du législateur consiste à le bien discerner. Un État peut triompher de beaucoup de mauvaises lois, et l’on s’exagère souvent le mal qu’elles causent. Mais toute loi dont l’effet est de developper ce germe de mort, ne saurait manquer, à la longue, de devenir fatale, bien que ses mauvais effets ne se fassent pas immédiatement apercevoir.

Le principe de ruine, dans les monarchies absolues, est l’extension illimitée et hors de raison du pouvoir royal. Une mesure qui enlèverait les contrepoids que la constitution avait laissés à ce pouvoir, serait donc radicalement mauvaise, quand même ses effets paraîtraient long-temps insensibles.

De même, dans les pays où la démocratie gouverne, et où le peuple attire sans cesse tout à lui, les lois qui rendent son action de plus en plus prompte