Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 1.djvu/237

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
230
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

et de prendre ou de retenir la connaissance de l’affaire qu’on lui contestait. On ne pouvait accorder ce privilège aux diverses cours des États ; c’eût été détruire la souveraineté de l’Union en fait après l’avoir établie en droit ; car l’interprétation de la constitution eût bientôt rendu aux États particuliers la portion d’indépendance que les termes de la constitution leur ôtaient.

En créant un tribunal fédéral, on avait voulu enlever aux cours des États le droit de trancher, chacun à sa manière, des questions d’intérêt national, et parvenir ainsi à former un corps de jurisprudence uniforme pour l’interprétation des lois de l’Union. Le but n’aurait point été atteint si les cours des États particuliers, tout en s’abstenant de juger les procès comme fédéraux, avaient pu les juger en prétendant qu’ils n’étaient pas fédéraux.

La cour suprême des États-Unis fut donc revêtue du droit de décider de toutes les questions de compétence[1].

Ce fut là le coup le plus dangereux porté à la souveraineté des États. Elle se trouva ainsi restreinte, non seulement par les lois, mais encore par l’interprétation des lois ; par une borne connue et par une

  1. Au reste, pour rendre ces procès de compétence moins fréquents, on décida que, dans un très grand nombre de procès fédéraux, les tribunaux des États particuliers auraient droit de prononcer concurremment avec les tribunaux de l’Union ; mais alors la partie condamnée eut toujours la faculté de former appel devant la cour suprême des États-Unis. La cour suprême de la Virginie contesta à la cour suprême des États-Unis le droit de juger l’appel de ses sentences, mais inutilement. Voyez Kent’s commentaries, vol. i, p. 300, 370 et suivantes. Voyez Story’s comm., p. 646, et la loi organique de 1789 ; Laws of the United States, vol. i, p. 53.