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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

bornes, un champ sans horizon se découvre : l’esprit humain s’y précipite ; il les parcourt en tous sens ; mais, arrivé aux limites du monde politique, il s’arrête de lui-même ; il dépose en tremblant l’usage de ses plus redoutables facultés ; il abjure le doute ; il renonce au besoin d’innover ; il s’abstient même de soulever le voile du sanctuaire ; il s’incline avec respect devant des vérités qu’il admet sans les discuter.

Ainsi, dans le monde moral, tout est classé, coordonné, prévu, décidé à l’avance. Dans le monde politique, tout est agité, contesté, incertain ; dans l’un, obéissance passive, bien que volontaire ; dans l’autre, indépendance, mépris de l’expérience et jalousie de toute autorité.

Loin de se nuire, ces deux tendances, en apparence si opposées, marchent d’accord et semblent se prêter un mutuel appui.

La religion voit dans la liberté civile un noble exercice des facultés de l’homme ; dans le monde politique, un champ livré par le Créateur aux efforts de l’intelligence. Libre et puissante dans sa sphère, satisfaite de la place qui lui est réservée, elle sait que son empire est d’autant mieux établi qu’elle ne règne que par ses propres forces et domine sans appui sur les cœurs.

La liberté voit dans la religion la compagne de ses luttes et de ses triomphes ; le berceau de son enfance, la source divine de ses droits. Elle considère la religion comme la sauve-garde des mœurs ; les mœurs comme la garantie des lois et le gage de sa propre durée (F).