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ÉTAT SOCIAL DES ANGLO-AMÉRICAINS

Ce n’est pas sans doute à nous, Français du XIXe siècle, témoins journaliers des changements politiques et sociaux que la loi des successions fait naître, à mettre en doute son pouvoir. Chaque jour nous la voyons passer et repasser sans cesse sur notre sol, renversant sur son chemin les murs de nos demeures, et détruisant la clôture de nos champs. Mais si la loi des successions a déjà beaucoup fait parmi nous, beaucoup lui reste encore à faire. Nos souvenirs, nos opinions et nos habitudes lui opposent de puissants obstacles.

Aux États-Unis, son œuvre de destruction est à peu près terminée. C’est là qu’on peut étudier ses principaux résultats.

La législation anglaise sur la transmission des biens fut abolie dans presque tous les États à l’époque de la révolution.

La loi sur les substitutions fut modifiée de manière à ne gêner que d’une manière insensible la libre circulation des biens (G).

La première génération passa ; les terres commen-

    pour l’acquérir, et qui perdent volontiers une portion considérable de leur revenu pour assurer le reste. Mais ce sont là des accidents. L’amour de la propriété immobilière ne se retrouve plus habituellement que chez le pauvre. Le petit propriétaire foncier, qui a moins de lumières, moins d’imagination et moins de passions que le grand, n’est, en général, préoccupé que du désir d’augmenter son domaine, et souvent il arrive que les successions, les mariages, ou les chances du commerce, lui en fournissent peu à peu les moyens.

    À côté de la tendance qui porte les hommes à diviser la terre, il en existe donc une autre qui les porte à l’agglomérer. Cette tendance, qui suffit à empêcher que les propriétés ne se divisent à l’infini, n’est pas assez forte pour créer de grandes fortunes territoriales, ni surtout pour les maintenir dans les mêmes familles.