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ÉTAT SOCIAL DES ANGLO-AMÉRICAINS

pas peu d’années auparavant, prirent rang au sein de l’Union américaine. C’est dans l’Ouest qu’on peut observer la démocratie parvenue à sa dernière limite. Dans ces États, improvisés en quelque sorte par la fortune, les habitants sont arrivés d’hier sur le sol qu’ils occupent. Ils se connaissent à peine les uns les autres, et chacun ignore l’histoire de son plus proche voisin. Dans cette partie du continent américain, la population échappe donc non seulement à l’influence des grands noms et des grandes richesses, mais à cette naturelle aristocratie qui découle des lumières et de la vertu. Nul n’y exerce ce respectable pouvoir que les hommes accordent au souvenir d’une vie entière occupée à faire le bien sous leurs yeux. Les nouveaux États de l’Ouest ont déjà des habitants ; la société n’y existe point encore.

Mais ce ne sont pas seulement les fortunes qui sont égales en Amérique, l’égalité s’étend jusqu’à un certain point sur les intelligences elles-mêmes.

Je ne pense pas qu’il y ait de pays dans le monde où, proportion gardée avec la population, il se trouve aussi peu d’ignorants et moins de savants qu’en Amérique.

L’instruction primaire y est à la portée de chacun ; l’instruction supérieure n’y est presque à la portée de personne.

Ceci se comprend sans peine, et est pour ainsi dire le résultat nécessaire de ce que nous avons avancé plus haut.

Presque tous les Américains ont de l’aisance ; ils peuvent donc facilement se procurer les premiers éléments des connaissances humaines.