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AVANTAGES DU GOUVERNEMENT, ETC.

Un magistrat corrompu, ou incapable, ne combinera pas ses efforts avec un autre magistrat, par la seule raison que ce dernier est incapable et corrompu comme lui, et ces deux hommes ne travailleront jamais de concert à faire fleurir la corruption et l’incapacité chez leurs arrière-neveux. L’ambition et les manœuvres de l’un serviront, au contraire, à démasquer l’autre. Les vices du magistrat, dans les démocraties, lui sont en général tout personnels.

Mais les hommes publics, sous le gouvernement de l’aristocratie, ont un intérêt de classe qui, s’il se confond quelquefois avec celui de la majorité, en reste souvent distinct. Cet intérêt forme entre eux un lien commun et durable ; il les invite à unir et à combiner leurs efforts vers un but qui n’est pas toujours le bonheur du plus grand nombre : il ne lie pas seulement les gouvernants les uns aux autres ; il les unit encore à une portion considérable de gouvernés ; car beaucoup de citoyens, sans être revêtus d’aucun emploi, font partie de l’aristocratie.

Le magistrat aristocratique rencontre donc un appui constant dans la société, en même temps qu’il en trouve un dans le gouvernement.

Cet objet commun, qui, dans les aristocraties, unit les magistrats à l’intérêt d’une partie de leurs contemporains, les identifie encore et les soumet pour ainsi dire à celui des races futures. Ils travaillent pour l’avenir aussi bien que pour le présent. Le magistrat aristocratique est donc poussé tout à la fois vers un même point, par les passions des gouvernés, par les siennes propres, et je pourrais presque dire par les passions de sa postérité.