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AVANTAGES DU GOUVERNEMENT, ETC.

n’aperçoivent plus la patrie que sous un jour faible et douteux ; ils ne la placent plus ni dans le sol, qui est devenu à leurs yeux une terre inanimée, ni dans les usages de leurs aïeux, qu’on leur a appris à regarder comme un joug ; ni dans la religion, dont ils doutent ; ni dans les lois qu’ils ne font pas, ni dans le législateur qu’ils craignent et méprisent. Ils ne la voient donc nulle part, pas plus sous ses propres traits que sous aucun autre, et ils se retirent dans un égoïsme étroit et sans lumière. Ces hommes échappent aux préjugés sans reconnaître l’empire de la raison ; ils n’ont ni le patriotisme instinctif de la monarchie, ni le patriotisme réfléchi de la république ; mais ils se sont arrêtés entre les deux, au milieu de la confusion et des misères.

Que faire en un pareil état ? Reculer. Mais les peuples ne reviennent pas plus aux sentiments de leur jeunesse, que les hommes aux goûts innocents de leur premier âge ; ils peuvent les regretter, mais non les faire renaître. Il faut donc marcher en avant, et se hâter d’unir aux yeux du peuple l’intérêt individuel à l’intérêt du pays, car l’amour désintéressé de la patrie fuit sans retour.

Je suis assurément loin de prétendre que pour arriver à ce résultat on doive accorder tout-à-coup l’exercice des droits politiques à tous les hommes ; mais je dis que le plus puissant moyen, et peut-être le seul qui nous reste, d’intéresser les hommes au sort de leur patrie, c’est de les faire participer à son gouvernement. De nos jours, l’esprit de cité me semble inséparable de l’exercice des droits politiques ; et je pense que désormais on verra augmenter ou diminuer