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DE L’OMNIPOTENCE DE LA MAJORITÉ.

Et, pour commencer par le plus apparent de tous :

L’instabilité législative est un mal inhérent au gouvernement démocratique, parce qu’il est de la nature des démocraties d’amener des hommes nouveaux au pouvoir. Mais ce mal est plus ou moins grand suivant la puissance et les moyens d’action qu’on accorde au législateur.

En Amérique, on remet à l’autorité qui fait les lois un souverain pouvoir. Elle peut se livrer rapidement et irrésistiblement à chacun de ses désirs, et tous les ans on lui donne d’autres représentants. C’est-à-dire qu’on a adopté précisément la combinaison qui favorise le plus l’instabilité démocratique, et qui permet à la démocratie d’appliquer ses volontés changeantes aux objets les plus importants.

Aussi l’Amérique est-elle de nos jours le pays du monde où les lois ont le moins de durée. Presque toutes les constitutions américaines ont été amendées depuis trente ans. Il n’y a donc pas d’État américain qui n’ait, pendant cette période, modifié le principe de ses lois.

Quant aux lois elles-mêmes, il suffit de jeter un coup d’œil sur les archives des différents États de l’Union pour se convaincre qu’en Amérique l’action du législateur ne se ralentit jamais. Ce n’est pas que la démocratie américaine soit de sa nature plus instable qu’une autre, mais on lui a donné le moyen de suivre, dans la formation des lois, l’instabilité naturelle de ses penchants[1].

  1. Les actes législatifs promulgués dans le seul État de Massachusetts, à partir de 1780 jusqu’à nos jours, remplissent déjà trois gros vo-