Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 2.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
DE L’OMNIPOTENCE DE LA MAJORITÉ.

vais emploi de ses ressources qui le font périr. L’anarchie naît presque toujours de sa tyrannie ou de son inhabileté, mais non pas de son impuissance.

Il ne faut pas confondre la stabilité avec la force, la grandeur de la chose et sa durée. Dans les républiques démocratiques, le pouvoir qui dirige[1] la société n’est pas stable, car il change souvent de mains et d’objet. Mais, partout où il se porte, sa force est presque irrésistible.

Le gouvernement des républiques américaines me paraît aussi centralisé et plus énergique que celui des monarchies absolues de l’Europe. Je ne pense donc point qu’il périsse par faiblesse[2].

Si jamais la liberté se perd en Amérique, il faudra s’en prendre à l’omnipotence de la majorité, qui aura porté les minorités au désespoir, et les aura forcées de faire un appel à la force matérielle. On verra alors l’anarchie, mais elle arrivera comme conséquence du despotisme.

Le président James Madison a exprimé les mêmes pensées. (Voyez le Fédéraliste, no 51.)

« Il est d’une grande importance dans les républiques, dit-il, non seulement de défendre la société contre l’oppression de ceux qui la gouvernent, mais encore de garantir une partie de la société contre l’injustice de l’autre. La justice est le but où doit

  1. Le pouvoir peut être centralisé dans une assemblée ; alors il est fort, mais non stable ; il peut être centralisé dans un homme : alors il est moins fort, mais il est plus stable.
  2. Il est inutile, je pense, d’avertir le lecteur qu’ici, comme dans tout le reste du chapitre, je parle, non du gouvernement fédéral, mais des gouvernements particuliers de chaque État que la majorité dirige despotiquement.