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CE QUI TEMPÈRE LA TYRANNIE, ETC.

main à ses formes et se confond pour ainsi dire avec l’idée même de la justice.

L’institution du jury, bornée aux affaires criminelles, est donc toujours en péril ; une fois introduite dans les matières civiles, elle brave le temps et les efforts des hommes. Si on eût pu enlever le jury des mœurs des Anglais aussi facilement que de leurs lois, il eût entièrement succombé sous les Tudors. C’est donc le jury civil qui a réellement sauvé les libertés de l’Angleterre.

De quelque manière qu’on applique le jury, il ne peut manquer d’exercer une grande influence sur le caractère national ; mais cette influence s’accroît infiniment à mesure qu’on l’introduit plus avant dans les matières civiles.

Le jury, et surtout le jury civil, sert à donner à l’esprit de tous les citoyens une partie des habitudes de l’esprit du juge ; et ces habitudes sont précisément celles qui préparent le mieux le peuple à être libre.

Il répand dans toutes les classes le respect pour la chose jugée et l’idée du droit. Ôtez ces deux choses, et l’amour de l’indépendance ne sera plus qu’une passion destructive.

Il enseigne aux hommes la pratique de l’équité. Chacun, en jugeant son voisin, pense qu’il pourra être jugé à son tour. Cela est vrai surtout du jury en matière civile : il n’est presque personne qui craigne d’être un jour l’objet d’une poursuite criminelle ; mais tout le monde peut avoir un procès.

Le jury apprend à chaque homme à ne pas reculer devant la responsabilité de ses propres actes ;