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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

parti des trésors qu’elle renfermait dans son sein, ils en couvraient déjà la face, et bientôt il leur fallut combattre pour acquérir le droit d’y posséder un asile et de s’y reposer en liberté.

C’est alors que l’Amérique du Nord se découvre, comme si Dieu l’eût tenue en réserve et qu’elle ne fit que sortir de dessous les eaux du déluge.

Elle présente, ainsi qu’aux premiers jours de la création, des fleuves dont la source ne tarit point, de vertes et humides solitudes, des champs sans bornes que n’a point encore retournés le soc du laboureur. En cet état, elle ne s’offre plus à l’homme isolé, ignorant et barbare des premiers âges, mais à l’homme déjà maître des secrets les plus importants de la nature, uni à ses semblables, et instruit par une expérience de cinquante siècles.

Au moment où je parle, treize millions d’Européens civilisés s’étendent tranquillement dans des déserts fertiles dont eux-mêmes ne connaissent pas encore exactement les ressources ni l’étendue. Trois ou quatre mille soldats poussent devant eux la race errante des indigènes ; derrière les hommes armés s’avancent des bûcherons qui percent les forêts, écartent les bêtes farouches, explorent le cours des fleuves et préparent la marche triomphante de la civilisation à travers le désert.

Souvent, dans le cours de cet ouvrage, j’ai fait allusion au bien-être matériel dont jouissent les Américains ; je l’ai indiqué comme une des grandes causes du succès de leurs lois. Cette raison avait déjà été donnée par mille autres avant moi : c’est la seule qui, tombant en quelque sorte sous le sens des Européens,