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CAUSES QUI MAINTIENNENT LA DÉMOCRATIE.

d’une sorte de violence morale exercée sur leur propre nature, que les hommes s’éloignent des croyances religieuses ; une pente invincible les y ramène. L’incrédulité est un accident ; la foi seule est l’état permanent de l’humanité.

En ne considérant les religions que sous un point de vue purement humain, on peut donc dire que toutes les religions puisent dans l’homme lui-même un élément de force qui ne saurait jamais leur manquer, parce qu’il tient à l’un des principes constitutifs de la nature humaine.

Je sais qu’il y a des temps où la religion peut ajouter à cette influence qui lui est propre la puissance artificielle des lois et l’appui des pouvoirs matériels qui dirigent la société. On a vu des religions intimement unies aux gouvernements de la terre, dominer en même temps les âmes par la terreur et par la foi : mais lorsqu’une religion contracte une semblable alliance, je ne crains pas de le dire, elle agit comme pourrait le faire un homme ; elle sacrifie l’avenir en vue du présent, et en obtenant une puissance qui ne lui est point due, elle expose son légitime pouvoir.

Lorsqu’une religion ne cherche à fonder son empire que sur le désir d’immortalité qui tourmente également le cœur de tous les hommes, elle peut viser à l’universalité ; mais quand elle vient à s’unir à un gouvernement, il lui faut adopter des maximes qui ne sont applicables qu’à certains peuples. Ainsi donc, en s’alliant à un pouvoir politique, la religion augmente sa puissance sur quelques uns, et perd l’espérance de régner sur tous.