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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

durant un temps, mais sans cesse. L’agitation et l’instabilité tiennent à la nature des républiques démocratiques, comme l’immobilité et le sommeil forment la loi des monarchies absolues.

Si les Américains, qui changent le siège de l’État tous les quatre ans, qui tous les deux ans font choix de nouveaux législateurs, et remplacent les administrateurs provinciaux chaque année ; si les Américains, qui ont livré le monde politique aux essais des novateurs, n’avaient point placé leur religion quelque part en dehors de lui, à quoi pourrait-elle se tenir dans le flux et reflux des opinions humaines ? Au milieu de la lutte des partis, où serait le respect qui lui est dû ? Que deviendrait son immortalité quand tout périrait autour d’elle ?

Les prêtres américains ont aperçu cette vérité avant tous les autres, et ils y conforment leur conduite. Ils ont vu qu’il fallait renoncer à l’influence religieuse, s’ils voulaient acquérir une puissance politique, et ils ont préféré perdre l’appui du pouvoir que partager ses vicissitudes.

En Amérique, la religion est peut-être moins puissante qu’elle ne l’a été dans certains temps et chez certains peuples, mais son influence est plus durable. Elle s’est réduite à ses propres forces, que nul ne saurait lui enlever ; elle n’agit que dans un cercle unique, mais elle le parcourt tout entier et y domine sans efforts.

J’entends en Europe des voix qui s’élèvent de toutes parts ; on déplore l’absence des croyances, et l’on se demande quel est le moyen de rendre à la religion quelque reste de son ancien pouvoir.